L’aviateur fantôme
Juin, 2023
Au début et jusqu’au milieu du 20e siècle, les parents laissaient leurs enfants errer dans les rues sans surveillance pour rentrer à la maison qu’au coucher du soleil. Il n’y avait aucune sympathie pour les écoliers qui étaient punis à coups de ceinture. Les parents pouvaient même vous la donner eux-mêmes pour faire bonne mesure. Il n’y avait pas de parents poules ni des parents qui éliminent tous les obstacles devant le parcours de leurs enfants. C’est au jeune de surmonter tous les obstacles de sa vie. Ils étaient des parents, pas des amis. Ils s’attendaient à ce que vous trouviez un emploi rémunéré dès votre adolescence et ne vous disaient pas « Réalise ton rêve » lorsque vous annonciez que vous vouliez devenir influenceur de mode. Si vous vouliez aller à l’université, c’était très bien. Mais vous aviez intérêt à trouver un bon emploi à temps partiel pour payer les frais. Ils s’attendaient, et même insistaient, à ce que vous quittiez la maison le plus tôt possible pour ne plus jamais y revenir..
Dans mon quartier du centre-ville, plus de 500 familles ont perdu leur fils au cours des cinq années de la Seconde Guerre mondiale. Certaines en ont perdu deux. La plupart d’entre elles ne les reverront jamais et n’auront jamais l’occasion de se recueillir sur leurs sépultures. Beaucoup ne savaient rien de la manière dont ils étaient morts et donc simplement tourner la page n’était pas une option. Le deuil se faisait en privé sans conseiller en appui et donc aucune condition à diagnostiquer après coup. À cause de tout cela, les gens d’aujourd’hui font la triste et quelque peu arrogante supposition que les gens des années 1940 n’aimaient pas leurs enfants aussi profondément que les parents d’aujourd’hui. Les gens d’aujourd’hui se trompent lourdement.
Pendant la guerre, la disparition d’un fils lors d’une mission aérienne portait un coup dur et douloureux pour toutes les familles. À l’époque, après le premier télégramme annonçant une disparition au combat, de nombreux mois sans nouvelle pouvaient s’écouler pendant que chaque piste d’espoir s’effritait une après l’autre au fil du temps. Une perte sans trace représentait, le plus souvent, une réalité écrasante que les parents devaient endurer pour le reste de leur vie.
Dans les allées cloisonnées du Runnymede Air Forces Memorial, à l’ouest de Londres, sont inscrits les noms de 20 456 hommes et femmes des forces aériennes du Commonwealth qui ont péri pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont péri au cours d’opérations menées à partir de bases situées au Royaume-Uni et en Europe du Nord et de l’Ouest et n’ont pas de sépultures connues. Plus de 3 000 de ces noms sont Canadiens. La plupart d’entre eux sont tombés en mer, d’autres sur des lacs éloignés, d’autres encore sur un flanc de montagne inconnu. Le Mémorial d’Ottawa, ici à Ottawa, commémore les noms de près de 800 jeunes hommes et femmes qui ont perdu la vie au-dessus du Canada et qui n’ont pas de sépulture connue. Ces 800 personnes ont disparu en cinq ans au Canada, dans les mers, les lacs et les régions sauvages. Le Mémorial de Malte, dans le port de La Valette, porte les noms de 2 297 aviateurs disparus, dont 285 étaient des fils de familles canadiennes. De jeunes aviateurs d’Ottawa figurent sur tous ces mémoriaux.
Plus récemment, nous connaissons tous l’étrange disparition du vol 370 de la Malaysian Airlines, qui a mystérieusement disparu en 2014. L’événement a donné lieu à des documentaires, des livres, d’étranges théories du complot et une page Wikipédia de 30 000 mots. La recherche de réponses se poursuit à ce jour en parallèle avec la recherche du site de l’épave, au coût de milliards de dollars et mettant des équipes de recherche continuellement en danger. Tout cela parce que les gens exigent des réponses et s’accrochent au plus petit brin d’espoir.
Le fils du vendeur de fruits
Philip Bosloy est né en juillet 1920, beau gosse, il est le fils d’un épicier et travailleur ardu de la banlieue d’Ottawa connue sous le nom de Glebe. Il a grandi entouré de l’amour et des attentes de sa famille juive élargie. Il a fréquenté les mêmes écoles élémentaires que mes filles et mon fils — First Avenue Public et Hopewell Public.
Il était prévu qu’il travaillerait dans l’une des entreprises familiales ou créerait la sienne. Après l’école primaire, Philip s’inscrit à l’Ottawa High School of Commerce, qui partageait les locaux du Glebe Collegiate Institute. Après deux ans de comptabilité, de dactylographie et d’autres cours commerciaux, en 1935 il passe à l’Ottawa Technical High School, où il étudie l’électricité et l’usinage, et décroche son diplôme à 17 ans. Il avait deux frères et sœurs plus âgés, une sœur Mary et un frère Jack, et un frère plus jeune du nom de Sydney. Ses parents étaient tous les deux des immigrants récents d’Europe de l’Est. Il adore dessiner et s’inscrit à un cours d’illustration par correspondance de la Federal School of Applied Cartooning, une société basée dans le Minnesota qui emploie des instructeurs tels que les futures vedettes Charles Schultz (créateur de la bande dessinée Peanuts) et Mort Walker (créateur de la bande dessinée Beetle Bailey). C’était le genre de cours annoncé dans les bandes dessinées et sur les cartons d’allumettes. Il aimait aussi le sport, notamment le tennis et le ski, mais surtout le basket-ball et le softball.
Son père, Louis Bosloy, est né Louis Boguslavsky à Kiev, en Ukraine (bien que cette ville soit considérée en Russie dans les documents d’attestation de Philip), et sa mère, Chawa Gosewitz, est également originaire d’un lieu non précisé en Russie. Ils se sont mariés en Ukraine et sont arrivés au Canada en 1913. Louis s’occupait d’une petite épicerie appelée Empire Fruit Store en dessous de la maison familiale, au 885 de la rue Bank. D’autres membres de la famille exploitent également un atelier de réparation de radiateurs et d’automobiles dans le même bâtiment. Il s’agit d’une famille soudée et talentueuse qui entretient des liens étroits avec la communauté juive locale, dont beaucoup sont eux-mêmes des immigrants récents qui ont fui la propagation du communisme et la création imminente de l’Union soviétique.
Philip s’est enrôlé dans l’Aviation royale canadienne (ARC) en juin 1941, et après son séjour au dépôt d’effectif il a été envoyé à Debert, en Nouvelle-Écosse, pour monter la garde au dépôt no. 16 « X Depot », un entrepôt de munitions de l’ARC. L’étape suivante pour devenir aviateur est l’école de formation initiale (ITS) où, après une série de cours théoriques et d’études sur l’aviation, on jugera s’il est apte à occuper un poste de personnel navigant. Pendant son séjour à l’ITS no 3 à Victoriaville, au Québec, un deuxième examen médical (le premier avait eu lieu lors de l’enrôlement) a été effectué en octobre. Les notes de l’examinateur ont révélé une tendance raciste chez le médecin militaire, une tendance qui, je l’ai remarqué, peut être détectée de temps en temps dans les dossiers de service. Une note manuscrite dans « l’historique de l’état actuel » indique : « Garçon juif, calme, doux, pas agressif, d’une intelligence et d’un esprit d’initiative tout au plus moyens ». Dans les dossiers des Anglo-Canadiens, je n’ai jamais vu écrit « Garçon écossais » ou « Garçon chrétien » pour décrire quelqu’un. De toute évidence, l’examinateur s’est senti obligé d’ajouter cette information non pertinente, qui avait déjà été fournie par Bosloy lui-même dans ses documents d’attestation. Tous devaient alors indiquer leur religion afin qu’elle puisse être ajoutée à leur disque d’identité en cas de derniers sacrements et d’inhumation sur le champ de bataille.
Les résultats de Bosloy à l’ITS étaient prometteurs : il était 32e (les classes de l’ITS étaient généralement nombreuses) avec une moyenne de 82 %. Mais ses résultats en matière d’instruction en vol sont nettement supérieurs à la moyenne. Il se classe cinquième dans sa classe de l’École élémentaire de pilotage (EFTS) à l’EFTS no 11, à Cap-de-la-Madeleine, au Québec. Après avoir décroché son diplôme en janvier 1942, il est affecté à l’École de pilotage militaire (SFTS) no 13, à Saint-Hubert, près de Montréal (cours 47). Son cours comprenait 19 diplômés récents de l’SFTS no 11, dont 7 Canadiens et 12 membres de la Royal New Zealand Air Force, ainsi que plusieurs membres de la Royal Air Force. À son crédit, son nom n’apparaît pas dans le journal de l’école, ce qui n’était pas le cas des élèves qui ont échoué l’entraînement et de ceux qui ont endommagé des aéronefs ou ont piloté en contravention des règlements.
Alors que son cours à la SFTS touche à sa fin le 15 avril, il demande la permission du commandant de l’école d’épouser son amie de cœur Ida Gordon. Ida est la fille de Julius et Minnie Gordon, des immigrants russes originaires de Galicie avant leur arrivée au Canada en 1912. Ils vivaient dans le quartier de la Basse-Ville d’Ottawa avec de nombreuses autres familles juives ukrainiennes et tenaient un dépanneur au 108 de la rue O’Connor, un secteur de la ville depuis longtemps envahie par les tours d’appartements. Comme preuve du caractère d’Ida, Philip avait des lettres de recommandation du rabbin Oscar Fasman et de son employeur, A. W. Bannard, directeur intérimaire de la trésorerie pour le Plan d’entraînement aérien du Commonwealth britannique (PEACB). Le rabbin Fasman a déclaré qu’Ida était « membre d’une famille très respectée dans cette communauté et je sais personnellement qu’elle est une jeune femme d’excellente moralité ». Bannard a déclaré « sans réserve que Mlle Gordon est très estimée par cette branche ». Comme c’est le service de Bannard qui paye les factures du PEACB, cette recommandation devait certainement impressionner le commandant du 13e SFTS. Dans une déclaration moins que romantique, le commandant de l’école, le Colonel d’aviation J. Stanley Scott, MC, AFC, a approuvé le mariage en déclarant que « cet aviateur est admissible à tous égards à la permission de se marier conformément au paragraphe 1360 des King’s Regulations (Air) ». Ida et Philip se sont mariés à Ottawa le lundi 4 mai. Son frère Jack agit comme témoin et Mary, sa sœur devient la demoiselle d’honneur d’Ida. Leur lune de miel les emmène à Montréal, où le point culminant sera le défilé de la remise des ailes de Philip deux jours plus tard.
Le 6 mai, il est diplômé, troisième de sa classe parmi les 25 élèves restants. Louis et Chawa font sans doute le court trajet en train jusqu’à Saint-Hubert pour rejoindre Ida lors de la parade de remise des ailes. À la fin de ses études, ses excellents résultats lui valent d’être nommé sous-lieutenant d’aviation. Il obtient un congé de dix jours et rentre probablement à Ottawa avec ses nouvelles ailes, ses nouvelles épaulettes de sous-lieutenant d’aviation et sa nouvelle épouse.
Aux confins du Canada
Au cours de l’hiver 1943, les conditions météorologiques dans les Maritimes étaient à peu près les mêmes qu’aujourd’hui : froides, humides et misérables. Les belles journées sont rares et les conditions météorologiques qui arrivent du sud et de l’ouest peuvent réduire la visibilité à néant en quelques minutes. À un moment donné, vous naviguiez avec la côte en vue et, l’instant d’après, vous descendiez sous une lourde charge de glace en cherchant à apercevoir quoi que ce soit — une route, une ligne de chemin de fer, la côte ou même l’océan. Si vous n’êtes pas prudent, il est facile de perdre votre chemin et trouver la mort.
Après la remise de ses ailes, le jeune Philip Bosloy est affecté comme pilote d’état-major à l’unité de vol peut-être la moins glorieuse de l’Aviation royale du Canada — l’escadrille de coopération d’artillerie côtière no 4 (4 CAC) — une minuscule unité hébergée par la lointaine station de l’ARC de Sydney, à l’extrémité nord de l’île du Cap-Breton. Équipée de trois Westland Lysander construits par National Steel, Car, leur tâche consistait simplement à survoler la côte atlantique du Cap-Breton pour permettre aux batteries d’artillerie côtière, comme celles de Fort Lingan, Fort Oxford, Chapel et Stubberts Point, le long de l’embouchure du port de Sydney, en remorquant des drogues cibles pour que les batteries antiaériennes côtières puissent ajuster leur tir. Ces batteries de défense côtière (8 au total) ont été construites pour protéger les mines, l’usine sidérurgique, les installations portuaires et le bassin de navigation de Sydney. Bosloy et ses collègues pilotes étaient également chargés de patrouiller dans l’embouchure du port. De temps à autre, ils effectuent des missions photographiques et de reconnaissance, ainsi que des recherches d’avions-disparus. Le travail est peu gratifiant et loin des fronts de combat pour lesquels ils se sont tous engagés. Au cours des premiers mois de 1943, le personnel du 4 CAC se compose de trois officiers, de trois aviateurs et de 11 autres.
Aussitôt installé, Bosloy invite Ida à le rejoindre dans la ville isolée de Sydney, en Nouvelle-Écosse.
Bosloy, encore sous-lieutenant d’aviation, est affecté au 4 CAC à la mi-mai 1942, mais il est immédiatement et temporairement détaché à l’escadrille de coopération de l’artillerie côtière no 2 (2 CAC), beaucoup plus importante, à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, pour s’entraîner sur le Lysander. Le 18 mai, Bosloy effectue un vol de familiarisation, suivi de nombreux vols d’entraînement et quelques heures sur le simulateur Link de la station de Dartmouth. À la fin du mois de mai, il remorque des cibles antiaériennes près de Dartmouth. Le 14 juin, il a mis fin à son séjour au 2 CAC et a été transféré au 4 CAC pour entreprendre des vols opérationnels.
C’était tranquille comme routine au 4 CAC. Si le travail de Bosloy n’était pas pénible, les conditions météorologiques le rendaient dangereux. Le Lysander était déjà un avion sensible, mais l’humidité et le froid ont fait des ravages à la station. La station elle-même a été fermée de temps en temps à cause de la neige qui dérivait sur les pistes, du brouillard, du blizzard, de la neige fondue et des fortes pluies. Certains jours de janvier et de février, aucun des avions de l’unité n’était utilisable. Le seul moment marquant en janvier s’est produit au sol lorsque deux armuriers de l’ARC travaillaient sur le Lysander 488. Alors qu’ils testaient la mitrailleuse Browning tribord logée dans le carénage de la roue sur l’aire de trafic, l’arme s’est emballée, tirant entre 300 et 400 coups et détruisant la porte du hangar.
Les choses deviennent un peu plus sérieuses lorsque des convois quittent le port de Sydney ou s’en approchent. Le Lysander de Bosloy peut alors être équipé de petites bombes suspendues à de minuscules ailettes dépassant des montants de roue et de munitions .303 pour alimenter les mitrailleuses légères situées dans les carénages de roue. Ce n’est pas l’armement le plus redoutable qui soit, mais tout de même prêt s’il découvrait un sous-marin allemand en train de rôder autour de l’embouchure du port.
Le Lysander 459, un appareil difficile
Le 25 janvier 1943, le commandant du 4e CAC, le Capitaine d’aviation Gordon W. Appleby de Chilliwack, en Colombie-Britannique, et le Sergent de section Fulton prennent le train du soir pour Montréal et la station de l’ARC de Saint-Hubert afin de récupérer le Lysander 459 et de le ramener à Sydney. Récemment modifié pour remorquer une cible, il remplaçait le Lysander 456, qui leur causait d’innombrables problèmes et qui demeurait inutilisable la plupart du temps. À 16 heures le 28, ils quittent Montréal pour retourner à Sydney avec le Lysander de remplacement. Ils passent la nuit à Millienocket, dans le Maine, avant de repartir pour Sydney le lendemain, arrivant bien après la tombée de la nuit le 29. Le « nouvel » appareil de l’unité a été inspecté de près par l’équipe au sol le lendemain, en vue de son acceptation. Le registre des opérations de l’escadron nous dit à quel point le personnel de service était déçu de l’état de l’avion : « Le Lysander 459 semble être en très mauvais état, selon la maintenance. Apparemment, il a besoin d’une révision générale ».
Le Lysander 459 avait déjà volé au service de deux unités de l’ARC basées à Rockcliffe : brièvement par l’École de coopération avec l’armée et ensuite par le Centre d’essais et de développement. Il a été modifié pour atterrir sur des skis (le seul Lysander de l’ARC à utiliser des skis) et a été testé à Rockcliffe et à Porquis Junction, dans le nord de l’Ontario, au cours de l’hiver 1941-1942. En avril, son pilote, le Lieutenant d’aviation D. Armstrong, rate son Air Command et au 4 CAC, il est modifié pour répondre aux normes de remorquage de cibles, mais il a subi quelques abus au cours de ses deux années préalables.
Le 8 février, après les soins de la maintenance, le Lysander 459 a effectué son vol de certification. Il a été jugé satisfaisant, à l’exception d’une chute de 150 tr/min lors de l’appauvrissement de mélange automatisé. Le même jour, Bosloy a entamé un congé de 14 jours. Il rentra tout probablement à son foyer à Ottawa avec sa femme Ida pour se réchauffer avec Louis et Chawa, Julius et Minnie, manger quelques repas traditionnels faits à la maison, et pour renouer avec les amis d’Ottawa.
Deux jours plus tard, le Lysander 459 a « vomi son huile » en démarrant le matin sur la rampe gelée du 4 CAC, ne laissant que deux appareils en état de marche. Comme le Lysander 456 qu’il a remplacé, le 459 n’est pas fiable et diminue sérieusement la capacité opérationnelle de l’unité. L’avion connaît toujours des problèmes avec son mélange et on fait appel au dépôt de réparation n° 4 (RD) à la station de l’ARC de Scoudouc, la principale installation de réparation d’avions pour le Commandement aérien de l’Est.
Le 22 février, Philip et Ida reviennent d’Ottawa. Après avoir salué Appleby, il est probablement heureux d’apprendre qu’il a reçu l’ordre d’emmener le Lysander 459 récalcitrant à Scoudouc pour la modification du jet de carburant du carburateur. Le Sergent de section John Joseph Slabick, lui aussi récemment rentré d’une permission de deux semaines, l’accompagnera en tant qu’opérateur radio. Bosloy, fils d’un immigrant ukrainien, et Slabick, polonais, sont tous deux originaires d’Europe de l’Est et ont volé ensemble à de nombreuses reprises. De retour de congé, ils étaient probablement heureux d’entreprendre une activité intéressante comme un exercice de navigation maritime pour se reprendre le service. Ce soir-là, Bosloy et Slabick assistent à un match de hockey à Glace Bay où l’équipe de l’ARC bat la Marine 4 à 2. Selon le registre des opérations, l’ancien aviateur du 4 CAC, le sergent G. E. Montani, a joué un match « halucinant ». Slabick retourne ensuite à la caserne et Bosloy se rend à l’appartement qu’il partage avec Ida.
Fils de Frank et Victoria (Natushko) Slabiak, immigrant polonais, Slabick était originaire de Summerberry, une ville rurale de la Saskatchewan. Il avait trois frères et deux sœurs et avait vécu toute sa vie dans le sud de la Saskatchewan où il exerçait le métier d’ingénieur en climatisation et en réfrigération. En examinant le dossier de service de Bosloy, j’ai pu déceler un courant d’intolérance raciste à l’égard des origines polonaises de Slabick dans l’évaluation écrite après son entraînement au pilotage à l’EFTS n° 5 de High River, en Alberta.
« Un jeune polonais qui a échoué parce qu’il est probablement devenu un peu paresseux et a oublié de s’appliquer en formation théorique. Il n’est pas très enthousiaste à l’égard du côté aérien, mais déclare qu’il aime bien ça. »
Là encore, il ne semble pas nécessaire d’ajouter son origine polonaise à son évaluation et, à mon avis, l’auteur établit un lien entre son origine polonaise et la paresse. Il est intéressant de noter que Slabick avait demandé à changer l’orthographe de son nom de John Slabiak en John Joseph Slabick, nom qu’il avait utilisé lors de son enrôlement. Il s’agissait peut-être d’une tentative de réduire le caractère polonais de son nom. Le nom de son père était toujours Slabiak dans ses documents d’attestation, mais vers la fin de la guerre, lorsque Frank a traité avec la Défense nationale au sujet de la succession de son fils, il a utilisé Slabick, peut-être pour alléger la bureaucratie.
Le mardi 23 février fut une rare journée de vol impeccable à la station de l’ARC de Sydney dans les Maritimes, avec un ciel CAVU (visibilité illimitée) et des vents légers selon le registre opérationnel du 4 CAC. Le vol de Bosloy et de Slabick les amènera à 370 km à l’ouest de la station de l’ARC de Scoudouc, à l’est de Moncton, au Nouveau-Brunswick. En plus de servir de terrain de débordement à l’école secondaire no 8 de Moncton, qui est très occupée, cette station abrite le dépôt de réparation no 4. C’est là qu’il était prévu de modifier rapidement le carburateur du 459, avant le vol de retour à Sydney le lendemain. Le travail étant prévu tôt le lendemain matin, les deux hommes décollèrent à 2 h 30 de l’après-midi et atterrirent à la station de l’ARC de Scoudouc 2,5 heures plus tard. Leur temps de vol suggère qu’ils n’ont probablement pas pris la route directe, et bien que la vitesse de croisière du Lysander soit estimée à 274 km/h, ils ont probablement volé à une vitesse d’environ 235 km/h. Ils ont probablement longé la côte du détroit de Northumberland, en Nouvelle-Écosse, au cas où le moteur Bristol Perseus XII du Lysander 459, peu performant, leur ferait défaut. Les eaux glacées du détroit en février promettaient une vie très courte aux malheureux équipages de l’ARC naufragés.
Les deux jeunes aviateurs ont dû apprécier la vue panoramique le long de la côte de la Nouvelle-Écosse, d’où on pouvait apercevoir l’Île-du-Prince-Édouard au loin à tribord tout au long du voyage. La glace devait encore boucher le détroit de Northumberland et, par ciel dégagé, le paysage en contrebas devait être d’un blanc éclatant, même aveuglant. Les deux hommes ont volé ensemble à de nombreuses reprises au cours des derniers mois, même à bord du Lysander 459. Bosloy et Slabick sont arrivés par un temps parfait et, après s’être enregistrés dans la salle des opérations de Scoudouc, ils ont téléphoné à Sydney à 16 h 45 pour signaler qu’ils étaient arrivés à bon port. Le sergent de service du 4 CAC l’a dûment consigné dans le registre opérationnel.
Comme toujours au No. 4 RD, ce fut une journée bien remplie, avec les allées et venues du trafic aérien de tout l’Eastern Air Command — Bolingbrokes, Harvards, Ansons, Hudsons, Norsemans, et même un Handley Page Hampden. Un Lockheed Hudson VI (FK443), client typique au RD n° 4, est arrivé de Port Hawkesbury, sur la côte du Cap-Breton, dans le détroit de Canso, piloté par le pilote d’état-major, le Capitaine d’aviation G. F. Gilbert. L’Hudson, affecté à la 31e unité d’entraînement opérationnel de Debert, en Nouvelle-Écosse, avait atterri de force sur une ligne de crête de 230 m de haut, à 6,5 km à l’intérieur des terres de Port Hawkesbury. L’avion a été récupéré de la crête et transporté à travers la brousse jusqu’à la surface gelée du détroit près de Port Hawkesbury. Il a été retapé avec un nouveau moteur et deux nouvelles hélices. On a effectué quelques réparations temporaires sur le nez de l’avion et on a renforcé l’intérieur. Gilbert a ensuite décollé de la glace et a ramené l’avion à Scoudouc pour les réparations proprement dites.
Le Lysander 459 est confié aux mécaniciens qui le remorquent à l’intérieur pour le dégeler. Emportant leur équipement, les aviateurs se séparent, Bosloy profitant du confort des quartiers pour officiers tandis que Slabick se dirige vers les quartiers pour sous-officiers. Slabick ne sait pas qu’il sera promu adjudant de 2e classe une semaine plus tard. Peut-être se sont-ils retrouvés ce soir-là dans la salle de loisirs pour la projection du film policier The Glass Key, avec Veronica Lake, Alan Ladd et Brian Donlevy.
Lysander 459 est prêt à midi le lendemain. Avant le décollage prévu à 16 heures ce mercredi-là, Bosloy a vérifié les conditions météorologiques dans la région de Sydney en téléphonant à Moncton. On leur a dit que les conditions météorologiques à Sydney seraient « bonnes » jusqu’à environ 19 h. Le plan de vol prévoyait qu’ils arriveraient à Sydney à 17 h 45 avec un vent arrière important. Ils avaient 360 litres de carburant à bord pour une masse totale de l’appareil de 2614 kg. Ils ont décollé en espérant vaincre le mauvais temps jusqu’à Sydney, mais on ne les a jamais revus.
Malgré la promesse d’un ciel dégagé à Sydney jusqu’à 19 heures ce soir-là, les relevés météorologiques locaux indiquent qu’à 17 h 50, le plafond n’était plus qu’à 122 m accompagné d’une visibilité de 6,5 km dans la fumée, la brume et la pluie. Quinze minutes plus tard, le brouillard a commencé à se répandre et à 18 h 30, le plafond n’était plus qu’à 61 m et la visibilité réduite à 1,2 km.
À 19 h 30 le 24 février, le Capitaine d’aviation Appleby a été appelé et :
« a été informé par la salle des opérations que le Lieutenant d’aviation P. Bosloy et le Sergent de section J. J. Slabick étaient en retard d’une heure dans le Lysander 459 de Scoudouc [en fait, il était alors en retard d’une heure et trois quarts, NDLR]. Les efforts de la station pour communiquer avec cet avion par radio furent sans succès. Plus tard dans la soirée, alors que l’on pensait que les réserves de carburant calculées par le Sous-lieutenant d’aviation P. Bosloy étaient épuisées, un message radio a été diffusé, demandant à toutes les personnes qui avaient entendu ou vu un avion dans les environs de le signaler à la station. Un certain nombre de rapports ont été reçus, mais sans permettre de tirer des conclusions définitives ».
Jeudi, la base a été secouée par des vents violents accompagnés de neige toute la journée. Malgré cela, Appleby a décollé au lever du soleil à 8 h, pour rechercher l’avion disparu et ses deux amis. À 9 h, la pluie verglaçante le force à rebrousser chemin. Éventuellement, la pluie s’est transformée en neige, qui a persisté jusqu’à 17 h 30 ce soir-là. Le registre opérationnel de l’unité a exprimé la frustration que les autres pilotes et hommes ont ressentie alors qu’ils attendaient la fin de la tempête : « Attendre que le temps s’éclaircisse n’a pas été facile pour le personnel de cette unité. Le registre de la station de Sydney pour le jeudi indique que les proches ont été informés de la disparition des deux hommes, mais Ida devait déjà le savoir puisque Philip n’était pas rentré à la maison comme prévu la nuit précédente.
Le vendredi 26, le temps était dégagé et froid, mais l’unité ne disposait plus que de deux Lysanders pour effectuer les recherches, et l’un d’entre eux n’était pas en état de marche. Avec qu’un seul avion disponible et seulement deux pilotes, le 4 CAC réussit tout de même à effectuer 14 heures de recherche ce jour-là, mais toujours sans résultat. Entretemps, les avions des autres unités de la station les rejoignent : les Bolingbroke du 119e Escadron (Bomber Reconnaissance) effectuent 27 heures de recherche en vol, tandis que le 128e Escadron met ses Hurricane à profit pour un total de 38 heures de recherche. Le journal indique que « toute l’île du Cap-Breton a été ratissée par les avions de cette base, mais aucune trace de l’appareil disparu n’a été découverte ».
Les tracés de radiogoniométrie (RDF) des transmissions de Slabick indiquaient qu’ils se trouvaient, pendant un certain temps, au sud de Sydney, au-dessus de l’Atlantique à 17 h 22 et que Bosloy traçait diverses trajectoires au-dessus de la mer, pour finalement regagner la côte à 19 h 6 et passer près de la station de Sydney et même pratiquement au-dessus de Sydney. Bosloy, volant à l’aveugle dans le brouillard et la pluie, n’a pas pu identifier le sol et, à court de carburant, a fini par s’abîmer quelque part en mer. Un autre facteur, non mentionné dans le rapport d’enquête, a pu jouer un rôle. Les conditions météorologiques de ce soir-là étaient parfaites pour générer une accumulation de glace sur les surfaces portantes et l’hélice du Lysander. Une accumulation de glace au cours d’une heure ou plus de vol dans les nuages a peut-être provoqué le décrochage de l’avion au-dessus de la mer. Slabick avait émis sur la fréquence du 4 CAC, mais n’en avait pas informé l’opérateur radio de Sydney ou toute autre station radio, de sorte que l’opérateur de Sydney n’écoutait que la fréquence de veille. Le carnet de vol de Slabick montre qu’il n’a effectué qu’un seul autre vol de navigation depuis son entrée en service, un aller-retour à destination de Scoudouc. Les enquêteurs remarqueront plus tard qu’il n’était pas familiarisé avec les procédures de vol de navigation. Bien entendu, tout cela n’a fait surface que beaucoup plus tard. En fin de compte, on n’a pas pu déterminer grand-chose sur leur sort et on a attribué en partie la disparition à l’incapacité de l’équipage d’établir et de maintenir une communication radio fiable avec Sydney.
Le 4 CAC et d’autres unités basées à Sydney ont continué leurs recherches à chaque occasion que les conditions météorologiques et la disponibilité des avions le permettaient, ce qui a semblé être le cas tous les deux jours au cours de la semaine suivante. Une semaine après leur disparition, on a signalé que « des lumières ont été aperçues la nuit dernière sur le mont Gillis, juste à l’ouest de la baie Gabarus, le long de la côte sud de l’île du Cap-Breton, à environ 35 km au sud de Sydney », et un appareil a été envoyé sur place pour enquêter. Les recherches ayant duré deux heures et n’ayant donné aucun résultat, le journal des opérations a se lit comme suit : « L’espoir de retrouver le Lieutenant d’aviation Bosloy et le Sergent de section Slabick sains et saufs diminue rapidement ». La promotion in absentia de Slabick au grade d’adjudant est également mentionnée.
Le lendemain, le journal des opérations a déploré le manque de moyens opérationnels de l’unité, qui a limité sa capacité à rechercher ses camarades ou à effectuer le travail pour lequel elle a été conçue :
« Cette unité est très démunie en ce qui concerne l’effectif du personnel navigant à ce jour, il nous manque un pilote et deux signaleurs/mitrailleurs. Jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune réponse à notre demande de renforts. Les derniers rapports mensuels ont été envoyés aujourd’hui. Avions disponibles : Un seul ».
Après seulement une semaine, le 4 CAC a commencé à se reconcentrer sur ses tâches opérationnelles et aucune autre recherche n’a été effectuée. Moins de deux semaines après la disparition du Lysander 459, le détachement a reçu des instructions sur la radiation du Lysander 459 et de son contenu. Cette instruction a été rapidement suivie par l’arrivée du remplaçant du signaleur Slabick et, deux jours plus tard, par celle du remplaçant de Bosloy.
Le 13 mars, deux semaines et demie après la disparition de Bosloy et Slabick, des restants d’un gilet de sauvetage ont été retrouvés échoués sur la plage de Glace Bay, ainsi que des éléments que l’on pense proviennent d’un parachute. Ces éléments ont été examinés et identifiés par Appleby comme pouvant provenir du Lysander 459. Au cours des dernières semaines de mars, l’unité a commencé à enquêter sur de meilleurs gilets de sauvetage et sur des canots pneumatiques personnels de type K. Il est clair que l’unité a été ébranlée par la perte de Bosloy et de Slabick et par la probabilité qu’ils soient tombés dans les eaux glacées de l’Atlantique en février. La toute dernière inscription au registre des opérations de l’unité pour le mois de mars 1943 indique avec certitude que Bosloy et Slabick sont « disparus en opérations aériennes depuis le 24 février 1943 ». Leurs noms n’apparaissent pas dans le registre des opérations pendant deux mois et demi, mais ensuite…
Je rêve ?
Tout au long du mois d’avril, l’unité a repris ses activités normales et le va-et-vient du personnel continue. Le temps est toujours aussi capricieux. Les cibles sont remorquées. Les campagnes de collecte d’obligations de la Victoire permettent de récolter des fonds pour l’effort de guerre. On s’occupe des avions et leur état opérationnel commence à s’améliorer. Les hommes s’entraînent au tir au pistolet sur le champ de tir. Des missions de reconnaissance photographique et des vols de navigation brisent la monotonie. Le traumatisme de la disparition de Bosloy et de Slabick commence à s’effacer.
Mais ce n’est pas le cas chez la famille Bosloy. Louis et Chawa sont accablés par le chagrin. Ida quitte Sydney pour retourner vivre avec ses parents sur l’avenue King Edward, dans le quartier de la Basse-Ville d’Ottawa. Le stress des deux derniers mois a fini par affecter Louis. En avril, Louis est arrêté par la police parce qu’il n’a pas respecté un panneau d’arrêt. Il a comparu devant le tribunal le 4 mai et a été condamné à une amende de 1 $ et à des frais de 2 $. En juin, il a commencé à rêver de Philippe, dans lesquels son fils lui apparaissait et lui disait qu’il était vivant. Louis est à la fois bouleversé et réconforté par la vue de son fils dans son sommeil.
À la mi-juin, Louis, n’en pouvait plus et il laisse son Empire Fruit Store aux mains de sa famille et achète un billet de train à la gare d’Union Station à destination de Sydney, l’endroit lointain où son fils avait été en poste. Assis dans son siège de brocart, regardant par la fenêtre du train qui traverse le pont Alexandra sur la rivière des Outaouais en direction de Montréal, il peut apercevoir les grandes étendues de bois résineux flottant sur la rivière en attendant d’alimenter l’usine de pâte à papier Eddy. Il n’avait pas voyagé depuis son arrivée au Canada et la longueur de son voyage l’intimidait, mais il en était de même pour son avenir sans son fils. Il change de train à Montréal et roule bientôt vers le nord-ouest le long de la rive du Saint-Laurent, rivière aussi fondamentale pour l’identité du Canada que le Dnipro pour l’Ukraine.
Un jour plus tard, alors que son train roulait vers le sud-est, suivant le fond de la vallée sauvage de la rivière Matapédia qui traversait les anciennes montagnes de la Gaspésie, il dut éprouver un sentiment irrésistible de la majesté et de l’immensité du pays qu’il considérait désormais comme sa patrie — des rivières sauvages et des forêts sans fin dans lesquelles un homme pouvait se perdre à jamais. Chaque kilomètre l’éloignait un peu plus du confort de sa famille, tout en le rapprochant du soulagement d’un cauchemar tenace.
À Truro, en Nouvelle-Écosse, il changea à nouveau de train pour parcourir les trois cents derniers kilomètres, empruntant l’ancien système ferroviaire Intercolonial, passant par New Glasgow jusqu’à Mulgrave, sur la rive ouest du détroit de Canso. Là, son wagon a été poussé sur un énorme traversier pour la courte traversée jusqu’à Port Hawkesbury où une autre locomotive les attendait pour le tirer jusqu’à Sydney.
Rien n’indique que Louis Bosloy ait informé l’unité de Philip qu’il était en route. Il semble que le 16 juin 1943, un jour gris et pluvieux, un homme à l’accent prononcé se soit présenté au poste de garde de la station de l’ARC de Sydney et ait demandé à parler au Capitaine d’aviation Gordon Appleby. Il connaissait probablement le nom d’Appleby, car, en tant que commandant du 4 CAC, il lui incombait d’écrire aux parents de Philip pour leur exprimer ses condoléances et celles de l’unité. Il réussit à convaincre le gardien et fut escorté jusqu’aux bureaux occupés par l’escadrille de coopération de l’artillerie côtière n° 4 et s’adressa à Appleby, le chef de son fils.
Il est certain que Gordon Appleby s’est montré aimable et conciliant avec le père de son pilote disparu. Il reconnaissait aussi les efforts que Louis avait faits pour se rendre à Sydney, car il avait traversé le pays pour aller voir sa famille à Chilliwack lui-même, en Colombie-Britannique, et sa femme l’avait rejoint à plusieurs reprises lorsqu’il était en poste à Dartmouth et à Summerside, dans l’Île-du-Prince-Édouard. Elle vit maintenant à Sydney, comme Ida l’avait fait avec Philip. Le registre opérationnel de l’unité du 16 juin fait état de la courte visite de Louis :
« M. Bosloy, père du lieutenant P. Bosloy, porté disparu le 24 février, a visité la station aujourd’hui et s’est entretenu avec le Capitaine d’aviation G. W. Appleby. Il semble que M. Bosloy ait fait un rêve trois nuits de suite, dans lequel son fils lui apparaissait et lui disait que lui, son fils, était sur une île, vivant, mais incapable de rejoindre le continent. M. Bosloy est convaincu que son fils est vivant et souhaite que l’ARC soit particulièrement vigilant lors de ses vols. »
Je n’arrive pas à déterminer si Louis a ensuite fait demi-tour pour retourner vers la gare, après avoir dit ce qu’il avait à dire, ou s’il a rendu visite aux divers services de police de la région pour leur raconter l’histoire de ses rêves. La police militaire de l’ARC surveillait la gare, mais les municipalités de Sydney, North Sydney et Glace Bay avaient toutes leur propre service de police à l’époque (elles sont aujourd’hui fusionnées au sein de la Police régionale du Cap-Breton), et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) demeurait responsable pour le reste de l’île. Un article paru le lendemain dans l’Ottawa Journal indiquait qu’il interrogeait les habitants sur ce qu’ils savaient de la disparition de son fils :
« Le père refuse d’abandonner l’espoir de retrouver le Lieutenant d’aviation Phil. Bosloy
Sydney, N.-É., 16 juin — (CP) — Louis Bosloy, d’Ottawa, espère toujours que son fils est vivant même s’il a été porté disparu il y a trois mois lorsqu’un avion de l’ARC a disparu dans cette région. Philip Bosloy d’Ottawa est venu relancer les recherches pour le Lieutenant d’aviation Philip Bosloy.
Le Lieutenant d’aviation Bosloy 22, et le Sergent de section J Flabick [sic], d’Estevan Sask. formaient l’équipage d’un avion qui volait de Scoudouc, N. B., vers notre ville. L’avion a été aperçu ici en début de soirée, mais n’a pas réussi à atterrir. [Aucun rapport de cette observation ne figure dans le registre des opérations du 4 CAC, ni dans le rapport d’enquête qui a suivi.]
M. Bosloy demeure persuadé que son fils est rescapé sur une île isolée au large de la côte près d’ici. Il interroge les habitants de la côte et demande à l’ARC d’entreprendre une nouvelle tentative pour retrouver les deux hommes. Des recherches approfondies ont été menées au moment où l’avion a été porté disparu pour la première fois. »
Il a peut-être retenu une chambre d’hôtel et s’est attardé dans la région dans l’espoir d’en savoir plus et de comprendre ce qui s’est passé ce jour de février. Il n’a cependant pas tardé à rentrer à Ottawa pour reprendre le cours de sa vie. Mais deux semaines plus tard, quelque chose d’étrange s’est produit.
Le fantôme
Le samedi 3 juillet en fin d’après-midi, la police municipale de Sydney est informée par un habitant de McLeod’s Crossing, Arthur McInnis, qu’il a « vu un homme en uniforme de l’armée de l’air, très barbu, les cheveux en bataille, sans casquette, l’uniforme en lambeaux, vers 3 heures du matin, alors qu’il se rendait à son travail le 3 juillet au matin ». Deux policiers ont été envoyés dans la zone pour enquêter. Lorsqu’ils ont abandonné leurs recherches, il était près de minuit et ils n’avaient rien trouvé. Le lendemain étant un dimanche, rien n’a été fait au sujet de l’observation jusqu’au lundi 5. Là encore, les recherches se sont déroulées de la fin de l’après-midi à la fin de la soirée, mais sans succès.
Le mardi 6 juillet, vers 4 h 45, trois jeunes garçons, Bobby Wilton, 10 ans, George Allen, 11 ans, et Michael Boyce, 12 ans, se sont présentés au poste de police de Glace Bay pour signaler « qu’alors qu’ils étaient dans les bois aujourd’hui, près de Crowe’s Pond, vers 15 h 30, ils ont vu un homme dans les bois, qu’ils pensent être un aviateur, qu’il portait un manteau avec des ailes sur le côté droit, qu’il n’avait pas de casquette, que ses cheveux étaient tout crépus et qu’il était très barbu. Ils n’étaient qu’à cinq ou six pieds de lui, les petits garçons lui ont crié et il s’est mis à courir, puis il s’est caché d’eux derrière un arbre pour les observer ».
Ce jour-là (le 6 juillet), cinq policiers de l’ARC, dont un enquêteur des services de prévoyance et de sécurité de l’ARC, ont effectué une patrouille, à pied et en voiture, mais une fois de plus, rien n’a été trouvé. Pendant les recherches, la police municipale a reçu un autre rapport d’une Mme Jones de Highland Street, à l’ouest de Glace Bay. Elle dit avoir vu un aviateur vers 17 h « agir d’une manière étrange le long du chemin de fer à environ 500 mètres de l’avant de sa maison ». Elle a déclaré que l’aviateur est sorti du buisson, a marché le long du chemin de fer sur une courte distance tout en regardant constamment derrière lui. Il a ensuite fait demi-tour, est revenu à son point de départ et est retourné dans le buisson. La police a fouillé la zone, interrogeant des cueilleurs de baies qui se trouvaient dans le même secteur, mais personne n’a déclaré avoir vu l’aviateur fantôme. Le lendemain, la police de Glace Bay, la Gendarmerie royale du Canada et des volontaires civils ont procédé à de nouvelles recherches, mais aucun signe ni même aucune rumeur n’a été découvert.
Entre-temps, l’histoire de l’aviateur s’est répandue et un article a déjà été publié dans le Post Record, le quotidien de Sydney. Une Mme MacNeil, peut-être une voisine de Philip Bosloy et de sa femme Ida à Sydney, a envoyé la coupure de presse à Ida ou Louis Bosloy, qui étaient alors de retour à Ottawa. Le 8 juillet, un article est paru dans l’Ottawa Journal :
« Regain d’espoir que son fils aviateur est toujours en vie »
« Louis Bosloy, 885 Bank Street, a retrouvé l’espoir que son fils, le lieutenant d’aviation Philip Bosloy, disparu depuis le 24 février lors d’un vol entre Scoudouc (N.-B.) et Sydney (N.-É.), soit en vie.
Les journaux de ces derniers jours ont rapporté qu’un homme barbu portant ce qui semble être un uniforme d’aviateur avait été vu à deux reprises dans les bois près de Glace Bay. M. Bosloy pense qu’il pourrait s’agir de son fils disparu, même si les responsables de l’armée de l’air n’ont qu’un faible espoir que le jeune officier ait survécu à l’hiver dans les bois. M. Bosloy a reçu une coupure de presse du Sydney Post Record, envoyée par Mme James L. MacNeil, faisant état de l’étrange aviateur. M. Bosloy est certain que son fils est vivant. »
Il semble que Louis Bosloy ait communiqué avec les journaux d’Ottawa, peut-être pour obtenir le soutien de l’opinion publique afin de faire pression sur l’ARC pour qu’elle relance ses recherches.
L’enquêteur de la police de l’ARC a mené des recherches et des entretiens infructueux dans la région les 8, 9 et 10, avec tous les aviateurs et le personnel de l’armée qui pouvaient être libérés de leurs tâches habituelles, ainsi qu’avec les membres de tous les services de police disponibles. Rien n’a été trouvé depuis la dernière apparition du fantôme le 6 juillet. Aucune autre recherche n’a été effectuée, mais une semaine plus tard, le 13 juillet, Louis Bosloy est descendu du train à la gare de Sydney et a pris un taxi pour se rendre à la station de l’ARC. C’est la deuxième fois en un mois qu’il se déplace d’Ottawa.
On imagine le contraste dans le bureau du commandant entre la police qui n’a rien trouvé depuis une semaine et qui a bien d’autres choses à faire, et le désespoir et l’espoir fragile de Louis Bosloy. Le rapport de l’enquêteur nous dit tout :
M. Bosloy… s’est rendu à la station de l’ARC convaincu que l’aviateur signalé était son fils. Bien qu’il n’ait pas été question de réfuter cette hypothèse plutôt fantastique et irréalisable, on a fait remarquer à M. Bosloy qu’il y avait très peu de faits liés à l’affaire et que, pour l’essentiel, il s’agissait de rumeurs et que la police envisageait d’abandonner l’affaire.
Cependant, on lui accorda la plus grande coopération et, accompagnée du Lieutenant d’aviation Saunders et du Caporal Hicks, on l’emmena à Glace Bay pour interroger le chef de la police McGinnis et la GRC afin d’obtenir les informations les plus récentes sur l’aviateur porté disparu.
Le lendemain, Bosloy est de retour à la station de l’ARC où on lui montre des rapports décrivant les actions entreprises dans cette affaire. Il est également informé que toute nouvelle recherche d’envergure devra dépendre d’informations fiables. Il serait inefficace de lancer plusieurs petites recherches au hasard sur un territoire aussi étendu. Alors qu’ils étaient en train d’apaiser Bosloy, une autre rumeur fit surface dans l’après-midi du 14 : « Un aviateur s’était présenté à la porte arrière d’une maison près de la mine n° 11 pour demander quelque chose à manger. Mme Buchanan lui a donné à manger dans la cuisine et s’est éclipsée pour aller chercher de l’aide, mais lorsqu’elle est revenue, l’aviateur était parti, emportant la nourriture avec lui ». Le Lieutenant d’aviation Saunders, l’enquêteur de la prévôté et un membre de la police municipale escortent Bosloy jusqu’à l’endroit où se trouve la mine n° 11 pour enquêter. En interrogeant les habitants du quartier, ils ont découvert que la rumeur concernant l’aviateur avait été concoctée par des enfants, laissés seuls à la maison, pour s’amuser. Ils étaient sortis un moment et avaient oublié de fermer la porte. Ils ont inventé cet incident en s’inspirant des récentes histoires d’aviateur fantôme pour cacher le fait qu’ils avaient laissé la maison grande ouverte.
Pendant que tout cela se passait au Cap-Breton, l’Ottawa Journal du 14 juillet rapportait :
« Louis Bosloy se rend à Glace Bay pour retrouver son fils
GLACE BAY, N.-É. 13 juillet (CP) — Louis Bosloy, d’Ottawa, qui croit que son fils disparu, aviateur dans l’ARC, est toujours en vie dans la région du Cap-Breton, est arrivé aujourd’hui pour enquêter sur des rapports selon lesquels un aviateur vêtu de haillons errait dans une région boisée près d’ici.
Il s’agit de la deuxième fois que l’homme se rend au Cap-Breton à la recherche de son fils, le Lieutenant d’aviation Philip Bosloy, qui a disparu dans la région. Philip Bosloy a disparu en mars [sic] lors d’un vol pour Sydney (Nouvelle-Écosse) en provenance de Scoudouc (Nouveau-Brunswick). Le père est venu ici le mois dernier pour exprimer sa conviction que le Lieutenant d’aviation Bosloy avait été abandonné sur une île au large du Cap-Breton.
Il y a quelques jours, il a lu des rapports selon lesquels les résidents de McLeod’s Crossing avaient vu un jeune aviateur errer dans les bois. Les habitants ont déclaré à la police qu’à plusieurs reprises, l’aviateur avait été vu à la lisière des bois, et qu’il disparaissait invariablement au milieu des arbres lorsqu’il était aperçu.
Des équipes de recherche ont passé la zone au peigne fin, mais sans résultat.
Bosloy s’est entretenu aujourd’hui avec des agents de l’aéroport du Cap-Breton et avec le chef de la police de Glace Bay, J.M. McInnis. Ce dernier a déclaré que son service coopérerait aux recherches, mais a ajouté qu’il avait du mal à trouver des volontaires pour ratisser les bois. »
Le lendemain, 15 juillet, une autre rumeur fait surface. Il semblerait qu’un aviateur, correspondant à la description de l’ermite à l’allure sauvage, ait été vu à proximité de la ferme de Frank Holmes sur Reserve Road. Une jeune fille du nom d’Anne Murray, qui rentrait les vaches, l’avait vu debout à quelque 500 mètres de là. Parce que cette apparition correspondait aux descriptions d’autres incidents, on l’a jugée suffisamment crédible pour lancer des recherches approfondies le lendemain.
À 13 h 30 le lendemain, une soixantaine d’aviateurs de la base aérienne de Sydney sont conduits dans la zone proche de la ferme de Holmes. Marchant en ligne de front à 6 mètres d’interval, les aviateurs ont couvert la zone lentement, en commençant à McLeod’s Crossing et en sortant de la brousse 3 km au-delà de la ferme de Holmes. Rien à signaler. Une heure et demie après le départ des aviateurs, 50 soldats du détachement de l’armée de Sydney effectuent un ratissage similaire sur le côté nord de Reserve Road, en fouillant la zone boisée le long du chemin. Les résultats demeurent toujours les mêmes.
Pendant que les groupes ratissaient la zone, le Lieutenant d’aviation Saunders et l’enquêteur de la prévôté ont rendu visite au voisin de Holmes, un éleveur de poulets du nom de McAuley. À l’arrière de ses poulaillers, ils ont trouvé plusieurs grands abris contre la pluie qui n’étaient plus utilisés. Dans celui qui était le plus éloigné de la ferme, ils ont trouvé des preuves d’une occupation récente : l’herbe à l’intérieur était aplatie là où quelqu’un avait dormi avec une pile de vieux sacs en toile de jute en guise d’oreiller. McAuley a déclaré que l’abri avait été abandonné et inutilisé depuis un certain temps. Selon lui, c’est là que reposait le clochard connu sous le nom de « l’aviateur fantôme ». Deux policiers ont attendu dans l’abri dans l’espoir que le fantôme revienne, mais ils sont partis après minuit le samedi matin.
Le samedi 17, Louis Bosloy lui-même, ainsi que deux autres volontaires, sont arrivés à la ferme de McAuley et ont bivouaqué dans l’abri, où ils ont passé toute la nuit à attendre le retour du fantôme. On ne peut qu’imaginer l’état d’âme de Louis Bosloy tout au long de la nuit, alors qu’il était allongé à écouter le vent et les bruits de la forêt voisine, son cœur sursautant à chaque son étrange, ne pouvant s’empêcher de se sentir plus proche que jamais de retrouver son fils. L’anxiété et le désespoir qui régnaient dans cet espace cette nuit-là brisent le cœur. Bosloy avait investi tout ce qui lui restait d’espoir de revoir son fils, l’aviateur fantôme, et il devait sûrement sentir que toute cette histoire ne tenait pas debout. Le matin venu, les coqs des McAuley chantèrent, le soleil se leva, la chaleur revint, mais personne ne vint.
Il semble également y avoir une certaine activité aérienne à partir de la station. Le lundi 19 juillet, un rapport a été reçu de l’Aircraft Detection Corps, une organisation civile bénévole gérée par les militaires et chargée de repérer et de signaler les mouvements d’aéronefs dans le ciel du Canada — une sorte de réseau d’alerte avancée non rémunéré, Mk I Eyeball1, à l’époque où les radars n’existaient pas encore. Le rapport fait état d’un avion non identifié qui se serait écrasé dans la région de la rivière Margaree, à quelque 80 km à l’est de Sydney, près de l’embouchure du détroit de Northumberland. Le 19 juillet, le 4 CAC a préparé un de ses Lysanders et une sortie a été effectuée par le Capitaine d’aviation Appleby et l’Adjudant Seaby dans la région de la rivière Margaree pour rechercher l’avion signalé. Il n’y eut aucun résultat malgré deux heures de recherches aériennes.
Le 20, l’enquêteur de la prévôté s’est rendu au poste de police de Glace Bay pour entendre les détails d’une autre rumeur. Un garçon de 14 ans, Lloyd McKay, affirme avoir aperçu l’aviateur sur la Reserve Road la veille et que l’aviateur portait au cou un disque d’identité avec des numéros. La police ne lui accorde pas beaucoup de crédit, mais les nouvelles se propagent rapidement, car le 20 juillet (le même jour), l’édition du soir de la Gazette de Montréal rapporte :
« CHIEN DÉTECTEUR APPELÉ POUR CHASSER L’ERMITE DE GLACE BAY.
Louis Bosloy, d’Ottawa, espère que cet homme soit son filsGlace Bay, N.-É., 19 juillet (CP) — Le fantôme des bois de Glace Bay est réapparu aujourd’hui, et sa dernière apparition a incité les autorités à tenter d’obtenir les services d’un chien détecteur pour retrouver le mystérieux ermite qui se cache dans une zone boisée des environs depuis des semaines.
Des dispositions ont été prises ce soir pour faire venir un chien de Moncton, au Nouveau-Brunswick, afin d’effectuer le travail des chercheurs qui ratissent les bois depuis plusieurs jours à la recherche de l’homme débraillé, à demi vêtu, dont on dit qu’il porte les lambeaux d’un uniforme d’aviateur.
Louis Bosloy, d’Ottawa, est arrivé ici il y a plusieurs jours dans l’espoir que l’homme puisse être son fils, membre de l’ARC, le Lieutenant d’aviation. Philip Bosloy, qui a disparu lors d’un vol au-dessus de cette région en mars. Aujourd’hui, Lloyd McKay, 14 ans, a déclaré avoir vu l’ermite et s’en être approché suffisamment pour lui demander s’il s’agissait de l’aviateur disparu.
« Quel aviateur ? », aurait-il répondu avant de s’enfoncer dans la brousse.
Le jeune McKay a déclaré que l’homme avait des cheveux longs et une barbe touffue, et qu’il était nu jusqu’à la taille. Il a ajouté qu’il portait au cou un objet ressemblant à un disque d’identification.
Après s'être rendu à la ferme des Holmes ce jour-là, l'enquêteur de la prévôté s'entretint avec Mme Holmes qui n'hésita pas à lui donner son avis sur toute cette affaire de « l’aviateur fantôme », lui disant que « de nombreuses rumeurs circulaient dans le district au sujet de l'aviateur, mais qu'elles étaient à peine fondées, la plupart d'entre elles ayant été lancées par des enfants et transmises par des adultes qui auraient dû être plus circonspects ».
Le mercredi 21 juillet, l'enquêteur et un agent des relations publiques du Commandement aérien de l'Est de l'ARC, tous deux préoccupés par le fait que les observations d'aviateurs fantômes devenaient incontrôlables, ont été appelés au service de police de Glace Bay où le chef leur a révélé que l'aviateur vu lors des plus récentes observations était en réalité l'aviateur de deuxième classe (AC2) J. Donovan (numéro de matricule R213208) qui rentrait chez lui en congé de son unité à la 8e CMU (Construction Maintenance Unit) à Tuft's Cove à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Il a déclaré que Donovan avait raconté à sa mère avoir vu les garçons dans les bois et qu'ils lui avaient demandé s'il était l'aviateur perdu et qu'il avait répondu en plaisantant qu'il était son frère. La maison de Donovan se trouve à 800 mètres de la zone boisée où les garçons l'ont vu et il a confirmé qu'il était torse nu lorsque les garçons l'ont vu. Le chef l'a également informé que la troupe locale de scouts espérait effectuer des recherches dans la brousse le lendemain et que des unités de l'armée prévoyaient d'organiser des exercices dans la même zone dans l'espoir de trouver également une trace de l'insaisissable fantôme. Il a ajouté qu'il n'était pas nécessaire de faire appel au personnel de l'ARC. L'histoire de l'interaction de Donovan avec les jeunes garçons est venue aux oreilles des Canadiens à travers le pays et a commencé à dissiper la théorie selon laquelle l'aviateur fantôme était Philip Bosloy. Le soir même, le Sydney Post Record rapporte l'explication de Donovan concernant le fantôme, en précisant à la toute fin :
« Il s’avère aujourd'hui que la conviction exprimée par M. Bosloy que l'homme en question est son fils repose en grande partie sur une série de rêves qu'il a eus il y a quelque temps et selon lesquels le jeune homme se trouvait sur une île de la région atlantique. Il a également consulté des voyants qui ont considérablement renforcé sa certitude, a-t-on appris aujourd'hui ».
Au cours des deux jours suivants, plusieurs villes du Canada ont publié des articles revenant sur la théorie selon laquelle Bosloy serait le fantôme. Le Regina Leader Post porte le coup de grâce aux apparitions de Louis Bosloy :
« L’aviateur fantôme » censé hanter les bois autour de Glace Bay, en Nouvelle-Écosse, a été dépisté. Il s'agit de AC2. J. Donovan, en service près de Halifax, dans l’ARC. Il prenait un innocent bain de soleil dans les bois pendant sa permission. Cela met un terme à l'histoire selon laquelle un survivant d'un avion disparu pourrait errer dans la brousse, hébété.
Mais la police demeure toujours à la recherche d'un possible « ermite ».
La rumeur de « l’aviateur fantôme » s'est répandue lorsque quatre jeunes de Glace Bay ont déclaré avoir vu un homme barbu dans les bois, portant une étiquette d'identification autour du cou, qui s'est enfui à leur approche.
Donovan rapporte que l'un d'entre eux lui a demandé s'il était l'aviateur fantôme, ce à quoi il a répondu en plaisantant : « Non, je suis son frère. »
Cette révélation vient ruiner les espoirs de Louis Bosloy, d'Ottawa, qui a participé à la recherche d'un « fantôme » en pensant qu'il pourrait s'agir de son fils, le Lieutenant d'aviation Philip Bosloy, dont il rêvait qu'il était encore en vie.
J'évoque l'histoire du journal de Regina pour souligner le fait qu'à aucun moment, après la perte du Lysander 459 ou la recherche de « l’aviateur fantôme », personne n'a mentionné John Slabick, l'opérateur radio qui avait également disparu avec Bosloy. Personne, pas même les journaux de la Saskatchewan, ne s'est jamais demandé si c'était Slabick qui se cachait dans les buissons autour de Glace Bay au lieu de Bosloy. L'histoire de Louis a totalement capté l'imagination du public.
Depuis plusieurs jours, Louis Bosloy demandait aux autorités de faire appel à un chien détecteur pour retrouver l'occupant de l'abri situé à l'arrière du poulailler McAuley. Le chien espéré, provenant de Moncton, au Nouveau-Brunswick, ne s'est jamais présenté, mais Louis n’a pas abandonné pour autant. Il devient de plus en plus désespéré et commence à harceler les services de police locaux et l'ARC. Le jeudi 22 juillet, Bolsoy, accompagné de Saunders et de l'enquêteur, s'est rendu dans les bureaux de la GRC à Sydney avec l'intention de continuer à faire pression pour obtenir des chiens policiers. L'enquêteur principal des services de la prévôté de l'ARC, qui rédigea plus tard le rapport final sur l'affaire, déclara que :
« On avait déjà expliqué à M. Bosloy qu'il serait impossible pour un chien de retrouver une piste aussi ancienne que celle laissée dans l'abri à la ferme de McAuley, et qu'il serait imprudent de faire trop confiance à ces moyens. L'Inspecteur Evans [commandant de la division de la GRC à Sydney] l'informa avec tact de ces faits au cours de l'entretien, mais devant l'état d'esprit et l'obsession de M. Bosloy sur le sujet, l'inspecteur promit de faire de son mieux pour faire venir l'un de ces chiens d'Ottawa. Non pas, comme il nous l'a expliqué plus tard, que le chien serait d'une grande utilité pratique, mais qu'il garantirait à M. Bosloy et au public que tout était mis en œuvre pour mener à bien cette recherche.
L'arrivée de M. Bosloy et la publicité qui en a résulté ont amplifié la première rumeur à un point tel qu'elle est devenue ridicule, sauf aux yeux du public. L'opinion publique étant ce qu'elle est, on estime que la rumeur suivra son cours jusqu'à ce qu'elle s’efface éventuellement. Les trois forces de police sont extrêmement sceptiques quant à cette affaire.
Le 24 juillet, cependant, le Corps de détection des aéronefs (ADC) signale un rapport supplémentaire concernant un avion non identifié qui s'est écrasé dans la région de la rivière Margaree. Appleby effectua à nouveau deux vols au-dessus de la zone, mais rien ne fut trouvé. Le même jour, une délégation de l'ADC est venue à Sydney et a inspecté un Lysander sur le terrain de parade, peut-être pour déterminer si c'était bien ce qui avait été vu. Le 25, une autre recherche a été effectuée par Appleby dans la région de Margaree, avec les mêmes résultats. Il n'y a pas d'autre explication dans le registre des opérations concernant ce que l'ADC avait vu.
Alors que les recherches se terminaient, l'enquêteur de la prévôté s'est entretenu avec le chef de la police de Glace Bay le 26. Le chef de police a déclaré qu'il « était plus incrédule que jamais quant à l'existence d'un aviateur errant en liberté ». Cependant, le chien policier tant attendu du quartier général de la GRC à Ottawa était arrivé par train et il « considérait qu'il était opportun de poursuivre l'affaire jusqu'à ce que tous les doutes soient levés dans l'esprit du public ».
Le même jour, il se rend au détachement de la GRC à Glace Bay où il lit le rapport sur l'affaire. Ce rapport exprimait l'opinion suivante : « Bien que la GRC soit très dubitative quant à l'existence d'un personnage tel que l'aviateur mystérieux, il serait très regrettable qu'à une date ultérieure un corps soit retrouvé, confirmant ainsi la rumeur ; par conséquent, tous les efforts doivent être déployés afin de ne laisser aucun doute sur le fait que tout est mis en œuvre pour retrouver l'aviateur dont on parle. »
La dernière mise à jour du rapport de l'enquêteur indique que le chef de la police a fait une déclaration à la presse annonçant que « les recherches étaient abandonnées, car il était fermement convaincu qu'il n'y avait personne de perdu ou ayant besoin d'aide dans les bois de cette région ». Avec cette déclaration officielle du chef de la police, l'affaire peut être considérée comme close, l'arrivée du chien détecteur d'Ottawa ayant effectivement mis fin à toute autre rumeur sur le sujet, bien qu'une demande ait été faite dans le Glace Bay Newspaper du 29 juillet [probablement placée là par Louis Bosloy], demandant à toute personne qui verrait le mystérieux aviateur de le signaler rapidement à la police afin que le chien ait une piste à suivre. Cependant, rien de plus n'a été signalé ».
Conséquences
Le 3 septembre 1943, les Synagogues unies d'Ottawa ont organisé un service à la Congrégation Agudath Israel sur l'avenue Fairmont pour se souvenir des membres de la communauté juive d'Ottawa qui étaient morts pendant la guerre, notamment Joesph Ash, Philip Bosloy, Jack Cooper, Jacob Galt, Harold Glatt, Stan Harris, Harry Levine, Philip Miller, Albert Schwartz, Sydney Slover, Herbert Wolf et Moses Zumar. Malheureusement, d'autres noms s'ajouteront à cette liste avant la fin de la guerre.
En novembre, l'Ottawa Journal publie un petit article sur Louis provenant d’une séance en cour, qui reflète son état d'esprit à la suite de la disparition de Philip :
« Un homme d'Ottawa condamné à une amende pour avoir brisé un plafond »
« Il venait de rentrer de l'île du Cap-Breton, où il avait participé à la recherche d'un fils dans l’ARC disparu depuis l'été dernier sic», a déclaré ce matin T. P. Metrick, avocat de la défense, au magistrat Strike, pour mitiger les accusations portées par la Commission des prix contre Louis Bosloy, exploitant d'un magasin de fruits au 885 de la rue Bank, à Ottawa.
Bosloy a été condamné à une amende de 15 dollars en plus des couts de la cour pour avoir vendu des pommes de terre et des oranges à un prix supérieur au prix plafond. M. Metrick a déclaré que son client était bouleversé après son retour à la maison et qu'il avait commis une erreur dans l'établissement du prix de deux catégories d'oranges.
L'enquêteur B. T. Watley a déclaré que Bosloy avait été averti par lettre et personnellement qu'il facturait deux sous au-dessus du prix plafond pour des sacs de pommes de terre de 2,3 kg. Il a déclaré que les oranges étaient vendues deux sous par douzaine au-dessus du prix plafond pour une certaine catégorie. »
J'ai du mal à comprendre pourquoi on ne lui a pas accordé un peu de répit pour le sacrifice que lui et sa famille ont souffert cette année-là. La perte de son fils, la hantise de ses rêves, les recherches dans les bois et les nuits passées à attendre le retour de son fils l'ont certainement empêché de se concentrer sur son travail.
Six mois après la disparition de son mari, Ida écrit au ministère de la Défense pour demander ce qu'elle doit faire :
« À ce jour, je n'ai reçu aucune communication officielle à ce sujet, et comme des amis m'ont informé qu'après une période de six mois, les questions de cette nature sont automatiquement transmises au ministère des Pensions et de la Santé nationale, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir m'indiquer quelle action je dois entreprendre à ce sujet et si je dois communiquer avec le ministère des Pensions et de la Santé nationale, ou s'il communiquera avec moi en temps voulu. »
Ida est restée avec ses parents sur l'avenue King Edward, mais a finalement épousé Joseph C. Gold en 1946 et a déménagé avec lui à Toronto.
Le jeudi 19 août 1948, cinq ans après la disparition de son fils, Louis Bosloy assiste à un match de lutte professionnelle à l'Auditorium, la plus grande salle couverte d'Ottawa, rue O'Connor. Le programme de la soirée promettait d'être une distraction excitante pour cet homme qui pleurait encore la disparition de Philip. Le match opposait Ray Eckert (alias Floyd Diefenbach) de St. Louis à « Smooth » Pete Peterson, un ancien joueur professionnel de base-ball et de football. Le champion européen Yvar Martinson devait affronter Enrique Torres, le champion mexicain. Le clou de la soirée est le combat entre le chasseur de gros gibier « Touchie » Truesdale et un alligator de 200 livres qu'il a capturé dans un marais de Floride – « un animal sauvage qui se bat furieusement, à coups de griffes et de dents ». La soirée est bruyante et agitée dans l'auditorium enfumé au teint bleu et assombri. Face à toute cette agitation, Louis est victime d'une crise cardiaque massive assis sur son siège et est transporté d'urgence à l'Hôpital général d'Ottawa, où son décès est constaté. Il avait 63 ans. L'Ottawa Journal a rapporté que « l’homme âgé est devenu particulièrement connu dans tout Ottawa en mars 1943 lorsqu'il a fait plusieurs voyages sur la côte est pour rechercher son fils le Lieutenant d’aviation Philip Bosloy, qui a été porté disparu après des opérations aériennes à partir de Sydney, en Nouvelle-Écosse, le 24 février de cette année-là ».
Louis (Boguslavsky) Bosloy est arrivé au Canada en 1913, à l'âge de 28 ans, avec sa femme Chawa et sa fille Mary, âgée de trois ans, à la recherche d’un meilleur destin pour la famille qu'il espérait fonder. S'il était resté en Ukraine, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'il aurait perdu toute sa famille dans les famines de terreur de l'Holodomor avant la guerre ou pendant l'Holocauste. En réalité, il a sacrifié l'un de ses fils pour vaincre le cancer brutal et meurtrier des nazis qui a ravagé sa patrie. Malgré la vérité statistique selon laquelle sa famille a évité l'anéantissement en émigrant, ce n'était pas une consolation pour un homme qui aimait si profondément son fils. Il maintenait une lueur d'espoir infatigablement, qu'elle ait été attisée par le rêve ou la rumeur, par l'opinion publique ou la couverture médiatique. Comme les familles du vol 370 de la Malaysian Airlines, il s'est accroché au moindre brin d'espoir et a emporté dans sa tombe sa poursuite inlassable d'explications. Il a été enterré au sud de la ville, dans les Jardins commémoratifs juifs, sur l'ancienne route 31. Chawa a été enterré à ses côtés 20 ans plus tard.
Dans leur demeure à Summerberry, en Saskatchewan, Frank et Victoria Slabiak étaient à l’abri de l'attention des médias en ce qui concerne la disparition de leur fils. Les journaux de la Saskatchewan n'ont pratiquement rien dit sur le sort de leur fils ou sur leur propre chagrin, mais je sais qu'ils l'ont ressenti aussi profondément que Louis a ressenti la perte de Philip. Dans leur cas, c'était le silence et l'anonymat d'une famille de la prairie. Ils n’ont pas eu le choix d’avaler leur chagrin et en supporter le goût amer jusqu'à la fin de leur vie.
Philip Bosloy et John Slabick n'ont pas de tombe connue. Le seul endroit où ils sont commémorés est sur les panneaux de bronze du Mémorial d'Ottawa, sur Green Island, qui surplombe la rivière des Outaouais. L'eau qui coule sous le Mémorial s'écoule à l'infini vers l'est jusqu'au fleuve Saint-Laurent, ensuite vers le golfe du Saint-Laurent et enfin vers l'Atlantique Nord où, bien plus bas, reposent les restes non encore découverts du Lysander 459.
Dave O’Malley
1 Terme familier pour décrire l’œil nu, sans aide technique