LA PLUME DE DIEU
La ville allemande de Haldensleben, qui enjambe la rivière Ohre et le canal Mittelland, se trouve à 30 km au nord-est de la ville de Magdebourg, capitale industrielle et politique de l’État allemand de Saxe-Anhalt. Ici, pendant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses nuits ont été illuminées par la lueur rouge des incendies, le balayage bleu et silencieux des projecteurs, les rafales de la DCA, les jets de balles traçantes et les avions en flammes au-dessus de Magdebourg au sud-est, de Brunswick à l’ouest ou de Wolfsburg au nord-ouest. Au-dessus d’Haldensleben, au cours de certaines nuits on pouvait entendre le bourdonnement des centaines d’avions du Bomber Command qui, résignés à leur mission, se dirigeaient vers Berlin ou rentraient chez eux en catastrophe sous le harcèlement des chasseurs de nuit.
Malgré ces horizons ténébreux, l’impitoyable réalité de la guerre en 1943 a très peu atteint Haldensleben. La plupart des jeunes hommes sont partis vers l’est, perdus dans des défaites nord-africaines ou en danger en Italie. Les camions de l’armée traversent en grondant la ville tous feux éteints et les locomotives de ravitaillement halètent dans la gare de triage. Cependant, la ville elle-même est rarement visitée par les horreurs de la guerre totale. Malgré cette isolation, Ernst Heuer, âgé de 15 ans, n’a jamais connu le sommeil profond d’un adolescent.
Avant d’aller se coucher le 23 août, la famille Heuer avait écouté une émission de radio qui les avertissait d’un raid sur Berlin prévu cette nuit-là. Ces avertissements ont stimulé ses sens et il a eu du mal à s’endormir. Vers 23 h 30, les bombardiers arrivent. Les bruits provenant de l’est s’amplifient et courent dans l’obscurité comme la mort en direction de Berlin, en dérivent au gré du vent du sud-ouest. Heuer était à la fenêtre, penché vers le ciel nocturne, à la fois terrifié et fasciné. La nuit sous lui était aussi noire qu’au-dessus. La lune présentait son dernier quartier et les maisons se cachaient derrière des rideaux tirés. Au nord, les balles traçantes dansaient silencieusement dessinant un arc après l’autre, leur son effacé sous le cette masse de bruit semblait amplifier la qualité du silence. Tous savaient qu’une fois qu’ils seraient passés, ils reviendraient, retrouvant chacun leur chemin de retour à la maison.
À 3 heures du matin, heure locale, Heuer est témoin d’un éclair lumineux à l’horizon vers le nord en direction des villages de Satuelle et Born. Cet éclair a été rapidement suivi d’une explosion lointaine qu’il a entendue et ressentie. Il s’est retiré de la fenêtre et s’est mis à réfléchir à ce dont il venait d’être témoin. Peu après le lever du soleil, alors que les bruits de la vie quotidienne reprennent dans les rues de Haldensleben, le jeune Heuer quitte sa maison à bicyclette et visite ses deux amis Gustav et Jochen Molle. Tous ont entendu l’explosion dans la nuit et ensemble ils pédalent en direction de Satuelle, vers une mince colonne de fumée épaisse qui s’élève à une distance d’une dizaine de kilomètres. Le lieu de l’écrasement se trouve au nord de Saturelle, dans une zone boisée près du village de Dorst. Ils sont les premiers Allemands sur les lieux et ils n’auraient jamais dû voir ce qu’ils ont vu.
Là, alors qu’ils se tenaient à côté de leurs bicyclettes, les yeux grands comme des soucoupes, se trouvait la carcasse fumante d’un avion. Manifestement énorme et certainement pas allemand, la partie avant du bombardier ennemi est complètement détruite, brûlée, tordue, brisée et en grande partie fondue par l’incendie. Sur le fuselage arrière de l’avion, derrière l’aile qui n’a pas été touchée par les flammes, on aperçoit une énorme cocarde ennemie peinte sur son flanc maintenant ondulé et effondré. Peut-être ne connaissaient-ils pas le nom de l’avion de leur ennemi, mais là devant eux reposait la dépouille mortelle d’un bombardier lourd Handley-Page Halifax II de l’Aviation royale du Canada.
Le mitrailleur arrière, toujours attaché à son siège dans la queue du bombardier, est manifestement mort d’un tir de canon ou de mitrailleuse avant l’écrasement. Malgré la chaleur de ce matin d’août, il portait une lourde combinaison de vol en cuir et des bottes aux pieds. Une photo de sa petite amie se trouve parmi les documents autour de lui. Les garçons peuvent voir les corps noircis de quatre aviateurs brûlés, carbonisés et regroupés près d’une trappe de sortie. Un autre corps n’a pas été brûlé se trouve près de la partie arrière du fuselage demeurée presque intacte. Tout autour d’eux gisent des munitions de mitrailleuse et du métal tordu.
Bientôt, d’autres citoyens et de jeunes enfants se sont rassemblés, figés par cette scène jusqu’à ce que les autorités arrivent et les chassent. Six corps ont été retrouvés dans l’épave. Le corps d’un septième aviateur a été retrouvé quelques jours plus tard, suspendu à son parachute dans un chêne mort de la forêt. Il s’appelait Commandant d’aviation William Henry Baldwin, DFC. Il habitait au coin de la rue où je vis aujourd’hui et, comme moi, il était graphiste, bien qu’à l’époque, on appelait ce métier « artiste commercial ».
L’homme pendu
Derrière l’anonymat et l’obscénité de son corps gonflé, suspendu par les sangles de son harnais de parachute dans un arbre mort, loin de chez lui, dans un pays de haine et d’horreurs, j’ai découvert l’histoire d’un jeune homme à qui le Canada doit beaucoup de gratitude. Bien sûr, le sacrifice de sa vie dans le ciel de l’Allemagne nocturne est primordial, mais c’est ce que le jeune Bill Baldwin a fait avant la guerre qui rend son histoire non seulement intéressante, mais émouvante et son héritage si durable.
Mais revenons un peu vers l’arrière
Bill Baldwin est né le 10 janvier 1910, bien avant les autres membres de l’équipage du bombardier Halifax. Il est le premier fils de Clayton James Baldwin et de son épouse, Helena Meagher. Ils l’appellent William Henry Baldwin, tout comme le père de Clayton, qui porte le même nom. Billy sera finalement le frère aîné de trois frères (Clayton, James et Charles) et de deux sœurs (Katherine et Naida).
La famille habite au 182 Fifth Avenue, dans une banlieue verdoyante d’Ottawa appelée le Glebe. Leur maison de briques rouges était l’une des premières maisons du Glebe et ressemblait davantage à une ferme qu’aux autres structures ouvrières et maisons en rangée du quartier. La famille était catholique et fréquentait l’église Blessed Sacrament, nouvellement construite au coin de la rue, où Clayton était membre de la Holy Name Society.
Clayton Baldwin a travaillé comme mécanicien en chef à l’imprimerie du gouvernement qui, à l’époque, se trouvait sur le site actuel du Musée des beaux-arts du Canada. Il était chargé de l’entretien des presses d’imprimerie, des massicots, des machines à relier et d’autres équipements mécaniques. Le jeune Bill a grandi autour des encres d’imprimerie, des livres, des brochures, de la reliure et du monde de l’art commercial.
Bill a étudié à Matthew’s Separate School, puis il a terminé ses études secondaires au Glebe Collegiate Institute, où il a étudié la physiographie, l’étude des formes et des processus physiques de la terre, ainsi que l’histoire et la littérature. Il s’intéresse aussi à l’écriture et à la calligraphie. Après avoir obtenu son diplôme en 1928, il accepte un emploi de bureau auprès de la compagnie d’assurance Metropolitan Life, dont le siège social est situé à l’angle des rues Bank et Wellington. Or, le travail de bureau n’est pas son style et, après un an, il trouve un nouvel emploi où il peut mettre à profit ses talents créatifs. Il devient employé civil de la section photographique de l’Aviation royale du Canada au Jackson Building sur la rue Bank, à quelques rues au sud de son ancien lieu de travail. Selon ses documents d’attestation, il participe à tous les aspects du travail : croquis, caricature, lettrage à la main, conception d’affiches, couvertures de livres et même la photographie aérienne. Bien qu’il aime son travail, en 1932 la décision est prise au niveau politique de se débarrasser de tous les employés civils de la section photo, et il est contraint de quitter.
Et c’est là que l’histoire devient plus intéressante.
Le livre canadien du Souvenir
Le Colonel Archer Fortescue Duguid, DSO, ancien combattant de la Première Guerre mondiale et directeur de la section historique du ministère de la Défense nationale (et auteur parfois critiqué de l’unique volume de l’histoire officielle du Canada pendant la Première Guerre mondiale), a lancé l’idée de créer un Livre du Souvenir pour commémorer les 66 655 Canadiens morts au service de l’armée du Canada pendant la Première Guerre mondiale. Il ne s’agirait pas d’une simple liste de noms, mais plutôt, comme l’écrira plus tard Walter B. Bowker de l’Ottawa Citizen une fois que la tâche fut entamée :
« Il représente la fois le sentiment approprié du Canada à l’égard de ses morts de guerre ainsi qu’un trésor à transmettre à la postérité comme l’un des plus beaux exemples de manuscrit enluminé moderne au monde aujourd’hui.... Il contiendra les noms de tous les membres des forces canadiennes et de tous les Canadiens qui ont servi dans d’autres forces alliées à travers l’Empire et qui ont perdu la vie, victimes de la guerre entre le 4 août 1914 et le 30 avril 1922, jour de la démobilisation finale du C.E.F. » [Corps expéditionnaire canadien]
Pour concevoir les enluminures qui feront de ce livre l’un des plus beaux exemples de cette forme d’art, un comité de six experts triés sur le volet a été mis sur pied pour choisir le concepteur en chef. Le comité a examiné des exemples non signés du travail de plusieurs artistes héraldiques canadiens. La proposition gagnante a été celle de James Purves, de London, en Ontario. Il a présenté une maquette du livre décrivant sa conception du traitement visuel et du concept général.
En 1932, Purves installe un studio dans les tout nouveaux locaux du Conseil national de recherches sur la promenade Sussex, à côté des chutes Rideau. Il est équipé de tables spéciales, d’écrans lumineux, de lampes, de dispositifs de grossissement et d’appareils d’humidification pour conserver la souplesse des feuilles de vélin fabriquées à la main.
Tout en aménageant les installations du studio où le travail devait être effectué, Purves part à la recherche d’assistants, car la tâche qui l’attendait dépassait de loin les capacités d’un seul homme. La plupart des membres de son équipe sont choisis dans la région d’Ottawa et Bill Baldwin, après son licenciement de la section photographique, pose avec succès sa candidature. Baldwin a dû présenter des exemples de ses talents d’écrivain et de calligraphe, car il a été sélectionné pour la tâche la plus ardue : l’inscription des 66 655 noms par ordre alphabétique selon l’année du décès, y compris le grade et l’unité militaire. Pour que la « plume » soit absolument constante de la première à la dernière des quelque 600 pages, le travail devait être effectué par une seule main. La quantité de recherches et de collations est hallucinante. Si un nom est mal classé, s’il y a une erreur d’orthographe ou si une unité militaire est erronée, le travail pour cette page ou cette section de l’année est à refaire.
Le travail méthodique et précis de Baldwin lui prendra une période extraordinaire de cinq ans. Toute faute d’orthographe, erreur calligraphique ou tache d’encre sur la page l’obligeait à recommencer. Les pages sont discutées à l’avance et les zones d’enluminures sont mises de côté avant que Baldwin ne commence. Une fois la page terminée, elle était confiée à l’un des nombreux enlumineurs et coloristes supervisés par Purves. En regardant son travail aujourd’hui, on est frappé par sa perfection absolue, comme si les noms étaient alignés par une machine.
Je ne peux m’empêcher de me demander ce que Baldwin songeait en transcrivant chaque nom, chaque grade et chaque unité - 66 655 fois en tout. Assis dans son bureau humide près des chutes Rideau, entouré de l’activité tranquille de ses collègues artistes, s’est-il demandé qui étaient ces hommes et ces femmes ? Où vivaient-ils ? Leurs familles ? Leur avenir ? À quoi pensait-il lorsqu’il a inscrit le nom de chacun des 27 Baldwin ou des deux William Baldwin qu’il a trouvés dans la liste ? S’est-il demandé s’il avait le courage de faire ce que ces hommes ont fait avant leur mort ? Au terme de ses cinq années de travail laborieux, il a compris, plus que la plupart des non-combattants, le coût exorbitant d’une guerre totale.
Lorsqu’il a finalement achevé son travail sisyphéen en 1937, son contrat prit fin et il a quitté l’équipe. Malgré cela, il a été rappelé pour quelques pages supplémentaires (peut-être des refontes de pages endommagées) même lorsqu’il était enrôlé et sur le point de partir à l’étranger en service avec l’ARC. Il restait encore cinq années de travail pour Purves, ses enlumineurs et ses relieurs. Malheureusement, James Purves mourut trois ans plus tard et deux ans avant que le Livre du Souvenir final ne soit dévoilé sur son autel de pierre devant le premier ministre William Lyon McKenzie King.
Baldwin trouve ensuite un emploi à CKCO, une station de radio d’Ottawa, comme homme à tout faire prenant même le micro pour présenter les nouvelles chaque soir. Il y acquiert une grande expérience technique : annonceur, transmetteur, exploitation du studio, enregistrement sonore et publicité. Au bout d’un an, il quitte la station de radio pour un emploi stable au sein du gouvernement en tant qu’artiste commercial à la division artistique du Bureau des parcs nationaux. Il s’occupe à peindre manuellement des photographies, des « diapositives de lanterne », des illustrations, des expositions, des lettrages à la plume ainsi que la conception de couvertures de livres et de brochures. Un travail qui n’est pas sans rappeler celui que je fais tous les jours — NDLR . C’était probablement le travail de rêve de Baldwin, mais il n’a pas duré longtemps. Lorsque la guerre a éclaté, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les départements non liés à la guerre subissent des coupures et son poste a été supprimé en 1940. Sans emploi et face à une guerre qui prend de l’ampleur, Bill Baldwin ne voit aucun obstacle à son enrôlement dans l’Aviation royale du Canada.
Il s’est engagé en juin 1940, alors que la bataille d’Angleterre fait rage dans le ciel de l’est et du sud-est de la Grande-Bretagne. Tous les jeunes Canadiens qui voulaient s’enrôler dans l’ARC à l’été 1940 se sont inspirés des histoires du 242e Escadron « canadien » de Douglas Bader et du 1er Escadron de l’ARC. La grande majorité des hommes aptes à faire partie du personnel navigant ont choisi le pilotage comme premier choix de carrière dans l’armée de l’air. Mais pas Bill Baldwin. Il indique qu’il voulait d’abord être mitrailleur d’aviation, puis il a ajouté plus tard le choix d’observateur. Peut-être comprenait-il qu’à 31 ans, il avait peu de chances d’être sélectionné pour une formation de pilote à ce stade précoce de la guerre. Lors de son entretien d’attestation, le 29 mai 1940, l’officier chargé de l’entretien déclare qu’il est « de loin au-dessus de la moyenne à tous les égards ». En fait, Baldwin était loin d’être au-dessus de la moyenne en ce qui concerne son éducation militaire. [Nous remercions Hugh Halliday pour ses recherches méticuleuses sur le dossier militaire de Baldwin — NDLR].
Les résultats de ses cours à l’école de formation initiale de Toronto laissent beaucoup à désirer. Il termine 102e d’une classe de 126 étudiants. Cependant, les évaluateurs du cours ont perçu son potentiel et l’ont gentiment qualifié de « bon potentiel comme observateur. Il ne fait aucun doute qu’il se débrouillera bien ». Ils ont dû voir quelque chose au-delà de son échec dans la matière théorique du cours.
Après son stage au dépôt d’effectif et l’école de formation initiale, Baldwin est envoyé en stage à l’école d’observation aérienne no 5 de l’ARC à London, en Ontario, du 14 octobre au 4 janvier 1941. Au cours de cette période, il effectue environ 42 heures de navigation à bord des avions d’entraînement Anson. Ses notes se trouvent dans la même veine que celles de l’école de formation initiale, se situant dans la médiane ou autour de la médiane pour la plupart de ses sujets. L’un de ses instructeurs notant qu’il est un « travailleur acharné. Lent à saisir les choses. N’a pas réussi l’examen sur les cartes et les graphiques, mais a réussi l’examen de repêchage ». À l’école de formation du sol, il termine piètrement 40e dans une classe de 43 élèves. Pourtant, il est jugé « moyen » ce qui est suffisant pour sa commission d’officier, mais insuffisant pour entreprendre le rôle d’instructeur. Le chef instructeur de navigation l’évalue favorablement, tout comme ses instructeurs à l’école de formation initiale, qui déclarent que Baldwin est « très soigné dans son travail. Il fera un bon officier avec un peu plus d’expérience. Personnalité agréable. Bien aimé de ses camarades de classe et des instructeurs. »
Après son stage à l’École d’observation aérienne, il suit un cours de 5 semaines à l’école de bombardement et de tir no 1 à Jarvis, en Ontario, sur les rives du lac Érié. Là aussi, ses résultats sont décevants : il termine avant-dernier de sa classe de 40 étudiants en artillerie et en bombardement. Le commandant de l’école, le Colonel d’aviation George Watt, le résume une fois de plus poliment : « Énergique et confiant. Il a fait de gros efforts, mais il n’a pas réussi à se distinguer. » Cette fois, il est jugé inapte à recevoir une commission.
À la mi-février 1941, il est de retour à l’École d’observation aérienne n° 5 de London pour suivre un cours de navigation avancé. Son résultat est encore pire, puisqu’il arrive encore bon dernier d’une classe de 82 élèves. L’instructeur en chef déclare que « ce sous-officier semble avoir des difficultés avec les formules arithmétiques, mais qu’il est par ailleurs un bon élève », ce qui laisse penser qu’il souffre d’une forme de dyscalculie, une difficulté spécifique et persistante à comprendre les nombres qui peut entraîner toute une série de difficultés avec les mathématiques. Je ne suis pas psychologue, mais comment un homme qui allait plus tard se voir décerner la Croix du service distingué dans l’aviation et être considéré comme un « navigateur d’une capacité exceptionnelle » sous le stress du combat, pouvait-il échouer aussi lamentablement et pourtant, tout le monde, jusqu’au commandant de l’école, l’encourageait ? La dyscalculie est toutefois associée au trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité et il est difficile de croire qu’il souffrait de ce trouble particulier s’il a réussi à atteindre, sur une période de cinq ans, la perfection méticuleuse de l’inscription des 66 655 noms du Livre du Souvenir.
C’est une bonne chose qu’il ait obtenu ses ailes plus tôt c’est-à-dire lors de son premier cours de l’École d’observation aérienne à London, car il n’aurait jamais pu les obtenir avec le résultat de son cours de navigation avancé. En juin, il part pour la Grande-Bretagne, mais pas par bateau comme le font la plupart des militaires. Selon un article paru dans le Ottawa Citizen, Baldwin est parti à bord d’un B-17 Flying Fortress (Forteresse volante) Les seuls B-17 à servir dans l’ARC font partie du 168e Escadron de transport lourd. Utilisés comme avions postaux, ils n’ont été acquis qu’à la fin de 1943 et en 1944. Cependant, la Royal Air Force utilisait 20 Fortresses volantes (appelées Fortress I dans la RAF) et elles ont été livrées à la fin du printemps et au début de l’été 1941. Il semble que Baldwin ait été autorisé à traverser l’Atlantique lors de l’un des vols de livraison, mais je doute qu’il ait été le seul navigateur à bord. Il est difficile de croire qu’un navigateur débutant, surtout s’il est de la trempe de Baldwin, se voit confier la responsabilité de naviguer un B-17 flambant neuf de Terre-Neuve à l’Écosse en passant par le Groenland et l’Islande. Mais l’expérience est sans aucun doute inspirante et instructive pour le navigateur novice. Après une courte formation opérationnelle sur Vickers Wellington à l’Unité d’entrainement opérationnel No. 12 à RAF Chipping Warden, il est affecté au 405e escadron de l’Aviation royale du Canada. Incroyablement, malgré ses piètres résultats scolaires, il réussit à guider ses équipages de bombardiers Wellington et Halifax vers leurs cibles et à les ramener à bon port, 32 fois de nuit et sous le feu ennemi. Quel que soit le mécanisme utilisé par Baldwin pour surmonter ses déficiences, il lui servira admirablement, ainsi qu’à ses coéquipiers.
En service à l’escadron 405
La première mention de Bill Baldwin dans les registres des opérations du 405e escadron date du 5 septembre 1941, lorsqu’il est affecté à l’escadron à la RAF Pocklington, dans le Yorkshire. Cinq semaines plus tard, il participe à sa première opération, qui consiste à bombarder des cibles portuaires et ferroviaires à Ostende, en Belgique. Il vole à bord du Wellington LQ-M (W5496) sous le commandement du Sergent pilote McLennan. Cette même mission de bombardement se comprenait le Lieutenant d’aviation Johnny Fauquier, destiné pour devenir une légende du Bomber Command et recevoir pas moins de trois Ordres du service distingué et une Croix du service distingué dans l’aviation, ce qui lui a mérité le titre d’aviateur canadien le plus décoré de la guerre.
Le 16 octobre, il part en mission vers Duisbourg avec le même équipage, pour bombarder des sites industriels le long du Rhin [Duisbourg se trouve au confluent du Rhin et de la Ruhr]. Sur le chemin du retour, ils rencontrèrent « un étranger tous feux éteints » et « aucun engagement ne s’ensuivit ». Il n’a jamais été possible de déterminer s’il s’agissait d’un chasseur de nuit ignorant leur présence ou d’un avion-ami. Le 22, ils pénètrent encore plus profondément en Allemagne, cette fois jusqu’à Mannheim, où ils éprouvent des difficultés à repérer la cible. À ce moment-là, il devient évident que son équipage est maintenant bien soudé : le pilote est le Sergent McLennan et le reste de l’équipage est composé des Sergents McKinley, Paige et Forester — et qu’ils se sont approprié leur propre appareil, le Vickers Wellington LQ-P.
Le 24 octobre, l’équipage de LQ-P est en mission vers Francfort, une ville fortement défendue, et essuie des tirs de DCA « exceptionnellement précis ». À la fin du mois, leur mission les dirige beaucoup plus au nord vers Hambourg avec des explosifs et des bombes incendiaires, mais McLennan, Baldwin et l’équipage, à la suite d’une panne d’interphone, sont contraints de rentrer chez eux. Sans moyen de communiquer avec les autres membres de l’équipage, il était impossible de mener à bien une mission de bombardement. Ils sont de retour au sol moins d’une heure après le décollage.
La semaine suivante, tout était calme, jusqu’à ce que, lors du breffage de l’opération le 7 novembre, ils soient informés qu’ils allaient « jusqu’au bout », c’est-à-dire jusqu’à Berlin, la ville la plus lourdement défendue d’Allemagne. Cette opération de bombardement s’est avérée la plus longue qu’ait connue l’équipage à ce jour. LQ-P décolle à 23 h 19 le 7 novembre et revient 7 heures et demie plus tard. Le temps était exécrable, avec une couverture de nuages 10/10 et peu d’éclaircies. Les équipages bombardaient aveuglément, mais McLennan bombarda à travers les nuages à l’heure exacte d’arrivée prévue. Pour son malheur, son avion fut touché par la DCA et la tourelle avant, l’empennage et le moteur tribord furent touchés. Seuls 5 appareils parvinrent à Berlin, 4 d’entre eux ayant opté pour les objectifs de Kiel et de Wilhelmshaven. Ces 4 équipages ont connu une opération beaucoup plus courte parce qu’ils n’ont pas été poussés jusqu’à l’objectif principal. Selon le registre des opérations, « les conditions météorologiques ont failli annuler la sortie ». L’un des Wellington, piloté par un ancien agent de la GRC de la Saskatchewan, nommé Alec Hassan, n’est pas revenu. L’équipage est perdu.
C’est quand même une véritable réussite pour un navigateur qui s’est classé dans la dernière moitié de sa classe et qui a complètement échoué son cours de navigation avancé. En effet, il a guidé son bombardier de nuit par mauvais temps, sans repère au sol, sur la majeure partie du trajet jusqu’à Berlin, soit une distance d’environ 1 000 kilomètres ou plus selon les changements de cap, et de réussir à larguer ses munitions au-dessus de la cible à l’heure prévue. Et de plus, après avoir subi des dommages, il guide son bombardier sain et sauf à son point de départ. Quelque chose a manifestement changé dans l’approche de Baldwin en matière de navigation.
Deux jours plus tard, alors que le Wellington « P pour Peter » (LQ-P) passe en réparation, l’équipage monte dans un autre Wellington de l’escadron, le LQ-Q, « Q pour Queenie », pour une nouvelle sortie contre les installations portuaires de Hambourg sur l’Elbe. De l’escadron, seuls trois appareils, dont le « Q pour Queenie » de Baldwin, parviennent à attaquer la cible proposée. Ils sont de retour à Pocklington 5 heures et demie après le décollage. Malheureusement, le reste du mois de novembre 1942 ne figure pas dans le registre des opérations, et je ne peux donc pas déterminer les sorties de bombardement de Baldwin pour cette période, mais d’après le journal l’escadron était actif.
La prochaine fois que le nom de Baldwin apparaît sur le registre des opérations, c’est dans la nuit du 22 décembre quand tous ses anciens coéquipiers sont partis, à l’exception du sergent Paige. En regardant le registre des opérations, il ne semble pas que les autres aient été affectés hors de l’escadron en novembre ou en décembre, alors peut-être étaient-ils en stage de formation hors de la base. Cette nuit-là, il vole avec le Lieutenant-colonel d’aviation Fenwick-Wilson, commandant de l’escadron et originaire de la Colombie-Britannique. À bord du Wellington LQ-U, ils tentent d’attaquer les installations portuaires de Wilhelmshaven, mais en raison d’un ciel très nuageux (10/10), ils attaquent plutôt la base d’hydravions de l’île de Borkum, au large de la côte baltique de l’Allemagne. Les conditions météorologiques et l’entraînement empêchent l’escadron the mener des missions de combat pendant le reste du mois.
Dans la nuit du 7 au 8 janvier 1942, il retrouve son ancien équipage à bord du « Q pour Queenie » pour se rendre à Saint-Nazaire, à l’embouchure de la Loire, dans le golfe de Gascogne. Il n’est pas précisé dans le registre des opérations s’ils visaient les installations portuaires en général ou les enclos des sous-marins allemands en particulier, mais leur chargement d’une seule bombe de 450 kg et de quatre bombes de 230 kg avec des petits conteneurs de bombes incendiaires n’a causé que très peu de dégâts sur les enclos en béton. Le bombardier était équipé d’une caméra qui a quand même repéré des dégâts modérés. Ensuite, ils se sont rendus à Vannes, plus loin sur la côte, puis à l’intérieur des terres jusqu’à Ploërmel, avant de revenir à Saint-Nazaire pour larguer des « nickels », l’argot de la RAF pour désigner les tracts d’opérations psychologiques. Ils sont rentrés à Pocklington à minuit, la sortie ayant duré 6,5 heures.
Le registre des opérations indique peu ou même aucun vol opérationnel pendant plusieurs jours après le raid sur Saint-Nazaire en raison du mauvais temps. Il y a eu quelques vols locaux à des fins d’entraînement, mais dans la nuit du 17 au 18 janvier, Baldwin est de nouveau au cœur de l’action lors d’un raid mené par le Lieutenant-colonel d’aviation Fenwick-Wilson vers la ville portuaire de Brême, située à l’extrémité du chenal de navigation de la Weser. Les conditions météorologiques sont mauvaises, mais quatre avions de l’escadron parviennent quand même à larguer des bombes sur Brême. Johnny Fauqiuer largue une bombe explosive de 1800 kg, appelée un « cookie », et rapporte avoir vu des « résultats dévastateurs ». McLennan, Baldwin et l’équipage du LQ-P sont contraints de revenir en raison d’une baisse de la pression d’huile et atterrissent trois heures après leur décollage. L’escadron a perdu le Wellington LQ-L piloté par le Commandant d’aviation Walter Keddy, DFC. L’opérateur radio à bord du Wellington de Keddy avait signalé que l’appareil retournait à la base en raison d’un problème de moteur, une heure à peine après le décollage et au-dessus de la mer du Nord. Vingt minutes plus tard, un poste du Coastal Observer Corps signale un avion en flammes, vraisemblablement un Wellington, qui s’est abîmé en mer à 32 kilomètres au large de Skipsea, dans le Yorkshire. L’une des plus grandes craintes des équipages du Bomber Command était d’amerrir en mer du Nord, surtout en janvier. Les chances de survie étaient minces, surtout si l’on est obligé de nager. Au bout de 17 heures, deux membres de l’équipage, le Capitaine d’aviation Scrivens, le navigateur, et le Sergent Turnbull, l’opérateur radio, sont retrouvés dans un canot pneumatique. Ils souffraient tous deux de gelures, d’exposition au froid et d’autres blessures.
Fin janvier, lors d’un raid sur Hanovre, ils sont à nouveau contraints de rentrer, cette fois en raison d’une défaillance hydraulique de la tourelle avant. Le mauvais temps empêche les opérations pendant la première moitié de février, et l’équipage de McLennan manque tous les raids de février — au Havre, à Mannheim, à Kiel et une attaque contre des cuirassés en mer.
En mars, Baldwin, qui est désormais officier d’aviation breveté, semble avoir rejoint l’équipage de l’Officier d’aviation Keith Thiele. L’affectation de McLennan a peut-être pris fin, car on ne le revoit plus dans le registre des opérations. Thiele, de la Royal New Zealand Air Force, comme le Canadien Fauquier, était un pilote très respecté et très décoré de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir réussi ses 32 missions dans le Bomber Command avec le 405e escadron, il demande une rétrogradation au rang de lieutenant d’aviation afin de reprendre son statut de pilote, effectuant cette fois 24 autres missions. On lui a ensuite accordé un congé de six mois, mais il a préféré reprendre le vol opérationnel après seulement deux mois, effectuant cette fois plus de 150 sorties sur des Spitfire, des Typhoon et des Tempest. L’équipage était très fier de son commandant. Leur radiotélégraphiste américain, le Sergent de section R J Campbell, a déclaré dans un magazine américain que Thiele était « le meilleur petit pilote de bombardier de toute la RAF et chacun d’entre nous l’admire… Je n’oserais pas sortir en mission sans Keith aux commandes ». Pour Baldwin, ces paroles s’avèrent prophétiques. »
Le nouvel équipage de Baldwin participe à des raids sur l’usine Renault à Paris, les installations portuaires de Saint-Nazaire et des sites industriels à Essen (deux raids). Le 28 du mois, il est navigateur avec son commandant de l’escadrille B, le Commandant d’aviation John McCormack de Toronto, dans l’appareil immatriculé LQ-L pour un raid sur Lübeck, au sud de Kiel sur la mer Baltique. Lors de ce raid, l’appareil de Baldwin est attaqué par un Messerschmitt Bf 109 sur le quart-arrière à bâbord, mais réussit à s’échapper grâce à une violente manœuvre d’évitement. Selon le registre des opérations, le raid (qui impliquait bien sûr beaucoup plus d’avions que ceux du 405e) a laissé la ville en flammes. Malheureusement, McCormack est tué dans un accident de vol une semaine plus tard, le 4 avril, en même temps que le Capitaine d’aviation William Fetherston d’Arnprior. Ils se trouvaient ensemble dans un avion d’entraînement Miles Magister, tout probablement l’avion à tout faire de la station. Ils effectuaient des acrobaties aériennes près de leur domicile de Pocklington. Des témoins oculaires ont déclaré qu’ils n’avaient pas réussi à effectuer un tonneau lent et suite à une plongée inversée vers le sol, les deux sont tués sur le coup. Le registre des opérations de l’escadron a saisi le sentiment de l’ensemble de l’escadron à propos de la perte de McCormack, en déclarant qu’il
« …était le chef très compétent de l’escadrille B et était non seulement populaire auprès des hommes sous son commandement, mais aussi auprès de tous ceux qui le connaissaient. Il fut l’un des premiers à être affecté à cette unité depuis sa formation en juin 1941, et comptait 25 sorties opérationnelles à son actif. Parmi les cibles qui ont été attaquées avec succès, on peut citer BERLIN (trois fois), TURIN, ITALIE, PARIS, LUBECK, plusieurs missions sur BREST, et de nombreux autres objectifs militaires importants en ALLEMAGNE et dans les territoires occupés. L’audace et le courage dont il a fait preuve à la tête de ses hommes ont toujours été une source d’inspiration pour tous ceux sous son commandement.
Né à Toronto, au Canada, le 19 septembre 1920, il était l’officier le plus ancien du groupe, compte tenu de son âge. Sa mort prématurée en ces jours critiques a été un choc pour l’escadron et ses amis. Son expérience et son dévouement sans faille à son devoir nous manqueront cruellement. »
Le choc de la perte de leur chef était tel qu’aucune mention n’a été faite de Fetherston dans le registre des opérations, si ce n’est qu’il était avec McCormack dans le Magister. Fetherston, ancien caissier de la Banque Royale du Canada, laisse à Toronto sa jeune épouse Helen et une petite fille qu’il n’a jamais vue. Il avait été soldat dans le Lanark and Renfrew Scottish Regiment.
Le Lieutenant d’aviation Thiele (promu commandant d’aviation après l’accident) prend le commandement de l’escadrille B de McCormack et Baldwin rejoint son équipage dans LQ-P pour un raid sur Cologne (Köln) le 5 avril. Trois jours plus tard, le 8 avril, l’escadron inhuma McCormack et Fetherston avec tous les honneurs militaires. Des photos du cortège funèbre ont été envoyées aux familles à Toronto. Immédiatement après les funérailles, l’escadron est briefé en vue de leur raid nocturne sur Cologne. Baldwin et Thiele se heurtent à une forte DCA au-dessus de la cible et le registre des opérations de l’escadron indique que « les Sisters se sont révélés inefficaces contre la DCA ». Pour autant que je sache, « Sisters » était le nom de code de la RAF pour les cartouches de reconnaissance colorées tirées depuis leur Wellington dans l’espoir qu’elles correspondent aux couleurs d’identification des amis de la Luftwaffe de ce jour-là pour désamorcer l’attaque. D’autres raids se poursuivent vers Dortmund et Hambourg. Le raid sur Hambourg sera le dernier de l’escadron sur Vickers Wellington.
Aucun vol opérationnel n’a eu lieu en mai. Le bien-aimé Johnny Fauquier d’Ottawa devient le nouveau commandant de l’escadron et supervise la conversion des équipages au bombardier lourd Handley-Page Halifax II qui est beaucoup plus gros et plus performant.
Dès le 25 mai, l’escadron dispose d’au moins 16 équipages de Halifax entièrement qualifiés et prêts à partir en mission de combat. Au cours de la dernière nuit du mois, il était temps de procéder à la première mission en Halifax. Et quel premier voyage ! Sous le nom de code Opération MILLENNIUM, il s’agit du premier des trois raids terrifiants de 1 000 avions organisés par le Bomber Command. Le Commandant d’aviation Johnny Fauquier commande les 16 autres Halifax du 405 et rejoint les 1 030 autres bombardiers moyens et lourds du Bomber Command — Halifax, Lancaster, Manchester, Sterling, Wellington et Hampden, Whitley et même Blenheim (tout ce qui pouvait être rassemblé, y compris 375 avions d’entraînement opérationnel et leurs équipages) — pour une attaque sur la ville de Cologne. Le concept du raid de mille bombardiers consistait à rassurer la population en mettant en évidence la puissance de frappe croissante de la RAF tout en semant la terreur pour briser le moral des citoyens ennemis.
Cette nuit-là, le Bomber Command a connu de nombreuses premières : la première opération du 405e Escadron à bord d’un Halifax, le premier raid rassemblant mille bombardiers et la première utilisation du concept de bombardement en vagues continues. Ce concept consiste d’une attaque par saturation sur une zone large de 6 à 10 km, longue de 80 à 96 km et haute de plusieurs milliers de mètres. Cette mission était conçue pour écraser la ligne Kammhuber, un secteur particulier du système défensif allemand connu pour sa construction complexe et stratifiée.
Baldwin, le Commandant d’aviation Thiele et l’équipage du LQ-M (W7704) décollèrent juste avant minuit le 30, et se frayèrent un chemin dans une vague continue de bombardiers déferlant vers Cologne. En route alors qu’ils s’approchent de la cible, Thiele et ses mitrailleurs repèrent à deux reprises une étrange formation de lumières, une première fois à 1200 m à 1 h 40 et une seconde fois une heure plus tard à 4000 m. Les lumières avaient la forme d’un grand « V » pointant vers l’ouest, au sommet duquel se trouvait un phare rotatif blanc, et à chaque extrémité une lumière clignotante brillante. Personne d’autre n’a signalé avoir vu ces lumières. Le registre des opérations ne précise pas si ces lumières étaient au sol ou en vol. S’agissait-il de « Foo Fighters2 » ou d’une diversion de la part de la Luftwaffe pour dérouter les bombardiers ? Alors qu’ils s’approchaient de Cologne, les incendies allumés par les bombardiers en tête de convoi leur donnèrent une cible facile à trouver, mais lorsque l’équipage a actionné la manette pour ouvrir les portes de leur soute à bombes pour relâcher les bombes électriquement, il n’y a eu aucun effet et tout leur chargement de bombes resta accroché. Les efforts déployés pour s’en débarrasser échouent et l’appareil ferme sa soute pour rentrer chez lui, le ventre plein de munitions armées — trois bombes HE de 450 kg, 12 petits conteneurs de bombes incendiaires — et atterrit au lever du soleil sans incident à Pocklington.
La nuit suivante, ils se trouvèrent de nouveau au cœur d’une vague de mille bombardiers déferlant vers Essen dans ce cas et, une fois de plus, ils furent le seul équipage à signaler d’étranges lumières dans le ciel. Le registre des opérations indique qu’à 2 h 30 du matin, ils ont vu « des lumières en forme de V avec trois lumières dans chaque branche, toutes blanches, à l’exception de la partie centrale de la branche qui était rouge avec un gyrophare blanc au sommet et une lumière blanche clignotante à l’extrémité ouverte du bras tout blanc ». Ils ont également vu un « feu blanc clignotant à bâbord de façon irrégulière et un feu blanc fixe en mer ». Seuls trois raids composés de vagues de mille bombardiers ont été menés contre des cibles allemandes au cours de la guerre. Thiele, Baldwin et leur équipage ont participé à chacune d’entre elles, la troisième et dernière ayant eu lieu à la fin du mois de juin, lors de l’attaque de Brême. Le 6 juin, ils se rendirent à Emden, le 8 à Essen et le 25, ils participèrent au dernier raid des mille bombardiers.
Au fil de l’été, les missions se poursuivent et le 405e Escadron participe aux raids tous les deux jours. Baldwin et son équipage retournent à Brême le 2 juillet dans LQ-R, qui est devenu leur Halifax particulier depuis le raid des mille bombardiers de la semaine précédente, puis à Wilhelmshaven le 8. Enfin, après le raid de Wilhelmshaven, il semble y avoir eu une pause, car l’équipage et Baldwin ne sont pas retournés en mission à nouveau jusqu’au tout début du mois d’août. Pendant cette période, Baldwin est promu capitaine d’aviation, sans passer par le grade de lieutenant d’aviation.
Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, 11 des 405 Halifax ont été lancés contre Düsseldorf, le cœur de la vallée industrielle du Rhin. L’équipage du Baldwin décolla en LQ-R à minuit trente et fut au-dessus de la cible à 2 h 57. Thiele rapporte qu’ils peuvent distinguer les méandres du Rhin et que les caractéristiques de la ville sont masquées par la fumée, car « la ville est dévorée par des flammes rougeâtres qui l’enveloppent ».
La nuit a été coûteuse : deux des Halifax de l’escadron ne sont pas revenus sans aucun contact depuis le décollage. Deux membres de l’équipage du LQ-T, commandé par le Sergent Donald E. West sont décédés : le Sergent de section Laurent Nadeau et le Sergent I. Watters (RAF). Quatre autres sont faits prisonniers de guerre et un s’évade. Le Halifax LQ-S, piloté par le sergent Jack Hunter de la RAF, est abattu près de Vorst, en Belgique. Tous les membres de l’équipage sont tués, y compris Jack Irish, un jeune opérateur radio provenant du même quartier d’Ottawa que Baldwin.
À ce moment-là, le nombre de missions se rapproche au maximum requis pour boucler le tour opérationnel et les nerfs de Bill Baldwin devaient être à bout. Le 2 août à 16 heures, le lendemain du raid dévastateur de Düsseldorf, Thiele (avec Baldwin) et Fauquier décollent en binôme pour un raid de jour de l’escadron 405 en direction de Hambourg. Ils transportent chacun 7 bombes de 450 kg dans leurs soutes. Cependant, les deux appareils ont fait demi-tour pour une raison étrange : l’absence de couverture nuageuse au-dessus de la cible. Le registre des opérations indique en effet que « les deux capitaines sont rentrés à la base en ramenant leurs bombes, car il n’y avait aucune possibilité de couverture nuageuse au-dessus de la cible ». Peut-être expérimentaient-ils le radar à balayage de sol HS2, mais s’ils se trouvaient au-dessus de la cible, pourquoi ont-ils ramené leurs bombes à la base ? Ce sera la dernière opération de Fauquier avec le 405e escadron. Le lendemain, on annonça qu’il avait mérité la DFC. Le registre des opérations indique :
« Bien qu’une reconnaissance des précieuses contributions du commandant de l’escadre ait été attendue depuis longtemps, l’annonce a été une agréable surprise et les membres de l’escadron n’ont pas tardé à adresser leurs chaleureuses félicitations à leur chef. La récompense est plus que justifiée vu l’audace constante avec laquelle il a inspiré ceux qui étaient sous son commandement dans les nombreuses attaques sans relâche qu’il a menées lors d’innombrables occasions au-dessus du territoire ennemi. »
Le mois d’août est très chargé, l’escadron change à la fois d’adresse et de commandant. Baldwin et son équipage ne participent plus qu’à un seul raid, celui de Duisbourg le 6. Ce fut également la dernière mission de Thiele et de Baldwin. Le lendemain, le 405e escadron s’installe à RAF Topcliffe qui est une base beaucoup plus grande et qui accueille deux autres escadrons de l’ARC : le 419e Escadron Moose et le 424e Escadron Tiger. Le registre des opérations du 405e Escadron rend compte du déménagement, qui est une expérience courante et souvent irritante pour un escadron déjà installé :
« Déplacement de l’unité : Le gros du personnel et de l’équipement du 405e Escadron a quitté Pocklington par convoi routier et par transport aérien vers la station RAF Topcliffe. Tout le personnel naviguant et une partie des équipages de maintenance des avions respectifs sont partis par avion, tandis que le reste du personnel s’est déplacé par camion et par bus. Le convoi a quitté la base de Pocklington peu avant 11 heures et, après un voyage sans incident, a atteint la base de Topcliffe après 14 heures.
A leur arrivée, les différentes sections ont été accueillies par les membres du détachement précurseur et conduites dans les baraquements qui leur avaient été attribués. Bien qu’il y ait eu de nombreux ajustements mineurs à effectuer avant que tout le monde ne soit finalement installé, chaque individu a exprimé sa vive satisfaction et a manifesté sa joie après avoir vu son nouvel environnement. Il devint évident que le moral, le bien-être des hommes et l’effort guerrier seraient considérablement améliorés dans les conditions idéales offertes à l’escadron dans son nouveau foyer. Il était évident que peu de gens regrettaient le déménagement de l’escadron et que tous se réjouissaient à l’idée de rester ici pour une durée indéterminée. »
Bien que ravis par leur nouvelle base d’attache, ils sont tristes de voir partir leur chef bien-aimé. En effet le Lieutenant-colonel d’aviation Johnny Fauquier quitte l’escadron le jour de son déménagement pour une affectation au quartier général de l’ARC à Ottawa. Le registre des opérations de l’escadron témoigne de l’amour que les équipages éprouvaient pour cet homme :
« L’annonce a été acceptée avec regret par les membres de l’escadron, mais en même temps des félicitations s’imposaient, car l’affectation ouvrira la voie à un succès encore plus important. Johnny laisse derrière lui un bilan enviable alors qu’il fait ses adieux à contrecœur à tout le monde ; un bilan qui sera non seulement une source d’inspiration pour ceux qui lui succéderont, mais qui existera toujours dans l’esprit de l’escadron lui-même. Ses exploits audacieux et son leadership imperturbable ont plus que justifié l’attribution récente de sa Croix du service distingué dans l’Aviation. De plus, les amis et les parents de ce fils originaire de la vallée de l’Outaouais peuvent fièrement saluer son étonnante célébrité. Bien que l’escadron regrette vivement ce chef compétent qui a fait partie de l’escadron depuis sa formation, tous les vœux sont adressés au lieutenant-colonel d’aviation pour tous les succès possibles à l’avenir. »
Le Lieutenant-colonel d’aviation Gordon Fraser, ancien commandant de l’escadrille A, nouvellement promu, prend le commandement de l’escadron et prépare le 405 pour d’autres missions à partir de Topcliffe. Le Commandant d’aviation Thiele, pilote de Baldwin et chef de l’escadrille B, quitte également l’escadrille pour une affectation à l’unité d’entraînement opérationnel n° 10 à RAF Abingdon, dans l’Oxfordshire. Il est également décoré de la Croix du service distingué dans l’Aviation. Après avoir briefé le nouveau commandant, il quitte l’escadron le 14 comme souligné dans le registre des opérations qui déplore sa perte :
« Un autre membre précieux et populaire de cet escadron nous a quittés. En effet, le Commandant d’aviation K. F. Thiele, DFC, est parti rejoindre sa nouvelle unité, la 10iéme unité d’instruction opérationnelle. Depuis son arrivée dans l’escadron le 15 octobre 1941, ce commandant s’est imposé comme un pilote exceptionnel et ses capacités n’ont pas tardé à être reconnues puisqu’il s’est vu confier le commandement de notre escadrille B peu de temps après. L’escadron regrettera son habileté naturelle et la vaste expérience qu’il avait accumulées au cours de ses nombreuses missions réussies, mais on se rend compte qu’un homme dont les états de service sont remarquables sera en mesure de transmettre ses précieuses connaissances à ceux qui, on l’espère, les imiteront. »
Avec le départ de Thiele, la plupart des membres de son équipage avaient terminé leur quota de missions, y compris Baldwin, qui a réussi à naviguer son appareil et ses compagnons au cœur de l’Allemagne à 32 reprises. Il est difficile de croire qu’un homme qui avait été « lent à saisir son métier », qui « semblait avoir des difficultés avec l’arithmétique » et qui « n’avait pas réussi l’examen sur les cartes et les graphiques » ait réussi, dans des conditions extrêmement difficiles, à mener à bien ces 32 sorties. Comparez ces remarques à la citation accompagnant la Croix du service distingué dans l’Aviation qui lui a été décernée en juin (publiée au journal officiel en octobre et remise le 8 décembre à Buckingham Palace par Sa Majesté le Roi) :
« Le sous-lieutenant d’aviation Baldwin est un navigateur d’une habilité exceptionnelle qui, en associant son courage à son esprit d’initiative, a contribué de manière significative au succès des opérations auxquelles il a participé. Sa bonne humeur et son optimisme constants, en dépit de tous les dangers, ont été une source d’inspiration. »
En septembre, la plupart des équipages avec lesquels le Commandant d’aviation Thiele et le Capitaine d’aviation Baldwin avaient volé avaient disparu, abattus ou en fin de quota de missions. Après septembre 1942, le registre des opérations de l’escadron ne ressemble plus du tout à ce qu’on connaît.
Pendant les quelques mois qui suivent, nous perdons la trace de Baldwin qui attend sa prochaine affectation. Je n’ai pas les dossiers personnels de Baldwin pour vérifier sa prochaine affectation après avoir quitté le 405e, mais il semble qu’il ait refusé un congé de six mois à Ottawa contre la promesse de retourner aux opérations par la suite.
Le 11 novembre 1942, alors qu’il attend ses ordres pour son embarquement vers le Canada, le Livre du Souvenir, une œuvre à laquelle il a consacré cinq ans de sa vie, est enfin dévoilé au Parlement. Après la mort de James Purves en 1940, le projet a été repris par son assistant Alan Brookman Beddoe, très compétent lui aussi et ancien combattant et prisonnier de guerre allemand pendant la Première Guerre mondiale. Beddoe a non seulement mené à bien ce projet, mais il a passé les trente années suivantes de sa vie en tant qu’artiste en chef des livres restants, avant de mourir en 1975. Parmi les nombreuses réalisations de Beddoe, on peut citer la conception des insignes de plus de 180 navires de la Marine royale canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale, la conception de l’insigne de la Légion royale canadienne, la conception de nombreux blasons municipaux, dont ceux d’Ottawa et de Kingston, les armoiries royales du Canada et sa participation à l’élaboration du drapeau canadien d’aujourd’hui.
Bien que Baldwin n’ait pas pu assister au dévoilement du Livre, sa contribution a été bien remarquée par les deux journaux quotidiens d’Ottawa. L’ironie du fait que Baldwin se trouvait à l’étranger au péril de sa vie, tout comme les 66 655 hommes dont il avait si soigneusement et respectueusement inscrit les noms dans les pages de l’imposant ouvrage, a suscité un intérêt particulier. L’Ottawa Citizen a publié un article à ce sujet :
« Le volume pesant 31 kg et contenant 606 pages magnifiquement illustrées à la main sur lesquelles un héros de l’aviation du présent conflit, le Capitaine d’aviation W. H. Baldwin, DFC, a écrit les noms de plus de 66 655 Canadiens qui ont donné leur vie pendant la guerre de 1914-1918, sera placé au centre de la chambre commémorative voûtée dans un cercueil sur un piédestal en pierre sculptée…
… Le Capitaine d’aviation Baldwin, expert en calligraphie et caricaturiste d’Ottawa, fils de M. et Mme C. J. Baldwin, alors tout juste sorti de l’adolescence, reçoit du vélin et doit soumettre des échantillons. Ceux-ci sont jugés satisfaisants et par la suite il s’est attelé à la tâche à plein temps. Il n’avait jamais suivi de formation professionnelle à la calligraphie autre que celle qu’il avait reçue à l’école.
Après un certain temps passé à compiler la liste et à placer les noms dans le bon ordre, il a commencé le lettrage proprement dit en 1934. Cela lui a pris cinq ans à temps plein et des pages supplémentaires ont été complétées en 1941, après son entrée dans l’ARC. Baldwin se rendit en Angleterre en juin 1941 et, en septembre dernier [sic], il reçut la Croix du service distingué dans l’aviation après plus d’un an de combats aériens au-dessus des îles britanniques et de l’Europe. »
Une semaine après le dévoilement, le 11 novembre, une photo plus grande que la normale de Baldwin avec son ruban de la DFC et sa casquette formée à la dure apparaît en première page de l’Ottawa Citizen pour annoncer sa promotion au grade de commandant d’aviation. Le court article indique que… :
« … en juin 1941, il s’est envolé pour l’Angleterre à bord d’une forteresse volante et y est resté en service actif depuis. Il a gravi tous les échelons jusqu’à son poste actuel grâce à ses remarquables capacités de navigateur et de bombardier, ayant participé à de nombreux raids dévastateurs au-dessus de l’Allemagne et de l’Europe occupée. Son rôle important au cours d’un de ces raids lui a valu la Croix du service distingué dans l’Aviation. Avant la guerre, le Capitaine d’aviation Baldwin a travaillé comme un enlumineur du Livre du Souvenir du Canada, qui a récemment été inauguré dans la tour de la Paix. Il est diplômé du Glebe Collegiate. »
De retour à la maison pour un petit séjour
Un an et demi après son départ outre-mer, Bill Baldwin, rentre chez lui à Ottawa par train le dimanche 27 décembre 1942 après avoir pris l’avion de Grande-Bretagne à Montréal. Son arrivée tant attendue par sa famille figure dans les deux journaux. Le 28, le Journal annonce la bonne nouvelle de son retour et cite un Baldwin plutôt humble, qui refuse le rôle de vedette :
Des missions hasardeuses au-dessus de la vallée de la Ruhr ont valu la Croix du service distingué dans l’Aviation au Commandant d’aviation Baldwin D.F.C
Brave pilote ottavien décoré de la Croix du service distingué dans l’Aviation qui donne le crédit à son équipage pour cet honneur.
Dès son arrivée à Ottawa dimanche après-midi, le Commandant d’aviation W.H (Bill) Baldwin attribue l’octroi de sa Croix du service distingué dans l’Aviation à une couple de missions hasardeuses au-dessus de la vallée de la Ruhr.
L’aviateur de 32 ans est le fils de M. et Mme C. J. Baldwin, 182 Fifth Avenue. Le matin, il a téléphoné à sa famille depuis Montréal pour lui dire de l’attendre dans la journée et toute une délégation fixait des yeux l’horloge dès midi jusqu’à l’arrivée du train à 13 heures. Le Commandant d’aviation se montre très en forme au point où un membre de sa famille s’exclame : « Qui a dit qu’il était mince ? »
Outre-mer depuis juin 1941, le Commandant d’aviation Baldwin repousse toute discussion au sujet de cette Croix du service distingué dans l’Aviation « qui n’est pas la mienne, car elle appartient à tout l’équipage ».
Au cours des 18 derniers mois, il est navigateur pour des Wellington et des Halifax lors de missions au-dessus du territoire ennemi. Volant avec l’escadron de bombardiers 405, la « cible du jour » de son bombardier l’a amené à effectuer 32 raids — deux de plus que la moyenne des affectations opérationnelles de l’aviation — principalement dans la vallée de la Ruhr, bien qu’il ait survolé Berlin et pris part au raid de 1000 bombardiers sur Cologne.
Johnny Fauquier est le Lieutenant-colonel d’aviation et le commandant de son escadron jusqu’à ce qu’il rentre chez lui en congé pendant l’été. Lorsqu’on lui demande des détails sur ses aventures, le Commandant d’aviation Baldwin les qualifie de routinières et remarque : « Je ne pourrais rien vous dire que vous n’ayez déjà entendu une douzaine de fois »
Il rend hommage à son équipage
Il accordait la plus grande importance à son équipage et, comme tous les autres aviateurs qui sont rentrés chez eux, il est convaincu que la sienne est la meilleure. Son capitaine était le Commandant d’aviation Keith Thiele, un pilote néo-zélandais, tandis qu’un Américain [Campbell — NDLR], un Français et un Anglais composaient le reste de l’équipage — un bel exemple de coopération au sein des Nations Unies.
Le Commandant d’aviation Baldwin décrit le peuple anglais comme « débrouillard ». Il passe une bonne partie de ses congés non pas à Londres ou à Édimbourg, mais comme invité de Sir Norman Birkett dans sa maison au Buckinghamshire. Birkett est membre éminent du barreau anglais et bien connu à Ottawa. Sir Norman et Lady Birkett ont un penchant pour les Canadiens et ont presque adopté l’escadron 403 [sic], ce que les garçons apprécient beaucoup.
… Il n’a pas été en mesure de dire ce qu’il ferait à l’expiration de son congé actuel. « Inutile de dire que je suis heureux d’être de retour à la maison ».
Quant à sa mère, Mme Baldwin n’aurait pas paraître plus heureuse si le Père Noël avait laissé un arbre de Noël entier dans son bas.
Sir Norman Birkett, le premier baron Birkett, député, deviendra l’un des deux juges britanniques au procès de Nuremberg des criminels de guerre nazis.
On sait peu de choses sur le séjour en permission de Baldwin à Ottawa, mais l’historien militaire canadien Hugh Halliday nous donne quelques indices. Il écrit que « l’ARC souhaitait s’en servir dans une fonction du commandement de l’entraînement “pour effectuer une tournée de toutes les écoles de formation initiale et des écoles d’observation aérienne afin de donner des cours aux équipages sur les dernières pratiques du Bomber Command en matière de navigation”. Cependant, l’autorisation de prendre congé du Bomber Command n’avait été accordée que s’il retournait au Bomber Command ». Six mois de congé, c’est long et il est probable qu’il n’ait porté l’uniforme pendant toute cette période.
Une chose dont je suis sûr, même si les journaux n’en parlent pas, c’est que Baldwin a dû se rendre sur la Colline du Parlement pour voir le Livre du Souvenir canadien, qui se trouve sur l’autel de la chapelle du Souvenir. Baldwin comprenait déjà parfaitement le sacrifice consenti par ces 66 655 hommes et femmes, mais aux yeux d’un officier de l’armée de l’air qui avait connu les vraies terreurs et la fraternité du combat l’occasion était encore plus marquante.
Au fil des mois, de petites bribes de sa vie personnelle apparaissent dans les journaux, révélant certaines de ses activités — celles d’un héros de la région et d’une célébrité locale. Le 5 janvier 1943, une semaine après son retour au pays, le Journal le mentionne dans un article sur les skieurs qui attendent le train pour le centre de ski de Camp Fortune, au nord d’Ottawa, et qui sont déçus lorsque le train est annulé. Athlète naturel, Baldwin s’adonnait au ski et au tennis avant la guerre et fréquente les légendes du ski de la région, Eugene et Bruce Heggtveit, ainsi que l’athlète olympique Bud Clark, tous membres de l’ARC. Se tenir debout sur des skis au sommet de Camp Fortune est très, très loin du ciel nocturne de Berlin. Un autre pilote, Tommy Du Broy, est également mentionné dans l’article. Du Broy ne survivra pas non plus à la guerre.
Le 8 janvier, Baldwin et le Lieutenant-colonel d’aviation Ken Boomer, DFC, étaient les invités d’honneur d’un déjeuner du Rotary Club. Ken Boomer, pilote de chasse bien connu de l’ARC à Ottawa, a combattu les Japonais en Alaska et les Allemands en Europe. Il n’a pas survécu à la guerre, ayant été tué en opération en octobre 1944. La section sportive du Citizen a rapporté le 19 janvier qu’il faisait du ski avec le Capitaine d’aviation Dick Travers et la femme de Johnny Fauquier à Camp Fortune.
Le 29 janvier, on accorde à Baldwin l’honneur de « faire face à la rondelle » (aujourd’hui appelé « laisser tomber la rondelle ») lors d’un match de hockey à l’Auditorium d’Ottawa, rue O’Connor. Le match oppose les Flyers de l’ARC, détenteurs de la Coupe Allan, à une équipe d’étoiles triées sur le volet de la Senior City Hockey League d’Ottawa. Malheureusement, Baldwin « n’a pas pu y assister, mais la foule s’est levée et a applaudi à la mention de son nom ». Avant le début du match, un service commémoratif est organisé en l’honneur des anciens élèves des écoles secondaires d’Ottawa qui ont perdu la vie au cours de leur service dans les forces armées.
Le 20 mai, on apprend qu’il aurait participé à une grande soirée dansante organisée à l’Auditorium et parrainée par l’Association des épouses des officiers de l’armée de l’air. Il devait remettre les prix aux gagnants de la compétition de danse en compagnie de nul autre que le maréchal de l’air « Billy » Bishop, VC, DSO, MC, DFC, LLD… Le fait qu’il ait été tenu en aussi haute estime que l’un des plus grands héros canadiens de la Première Guerre mondiale en dit long sur sa réputation dans sa ville natale. L’événement s’est déroulé à guichets fermés, avec 1 500 billets achetés, et il a été rapporté que Baldwin était juge et présentateur du concours de jitterbug. Je pense que Baldwin a dû songer, comme d’autres héros de guerre l’ont fait lors de leurs tournées de collecte de fonds ou de vente d’obligations, qu’ils préféreraient de loin être de retour avec leurs camarades en Angleterre. Baldwin s’est montré bon joueur pour avoir accepté ce rôle.
Sa permission touchait à sa fin et il devait à nouveau prendre part à des vols opérationnels. On ne connait pas à ce stade sa date de départ, mais le 3 juillet, les journaux rapportent qu’il est déjà de retour outre-mer. Dans un autre article paru le même jour, intitulé Canadian Flyers on Every Front (les aviateurs canadiens sur tous les fronts), on fait mention de lui, ce qui montre la grande estime dans laquelle il était tenu dans la région d’Ottawa : « … n’oubliez pas ces autres aviateurs d’Ottawa : Bill Baldwin, Johnny Fauquier, Larry Robillard, Carl Fumerton, Mervyn Fleming… ». Je ne m’attends pas à ce que tout le monde connaisse tous ces noms, mais chacun d’entre fait figure de géant dans l’histoire de l’Aviation royale du Canada… sauf Baldwin.
Le service de Baldwin et la récente adulation dont il fait l’objet incitent son plus jeune frère à s’engager. Le 21 juillet, le Citizen publie un article indiquant que son frère cadet, James Hubert, s’est enrôlé dans l’ARC, « déterminé à être aussi utile à son pays que son frère aîné ». L’article indique également qu’un autre frère, l’adjudant Clayton Baldwin Jr, est lui aussi membre de l’ARC.
Retour au Maelstrom
Le 26 juin, Baldwin monte à bord d’un autre avion pour un vol de trois jours vers l’Angleterre. Baldwin rejoint son ancien escadron, maintenant à RAF Gransden Lodge, dans le Bedfordshire. Il n’y a qu’un seul homme de son ancienne affectation qu’il reconnaît, et c’est son commandant. Le Lieutenant-colonel d’aviation Johnny Fauquier a quitté Ottawa en avril et est revenu pour commander son ancien escadron. Baldwin le connaît bien pour l’avoir côtoyé lors de missions antérieures et pour avoir pris des congés de retour au pays, où il a fréquenté Fauquier et sa femme.
Le Lieutenant-colonel d’aviation Fauquier en est à la deuxième de ses trois tournées opérationnelles complètes et, en tant que commandant, il a certainement l’embarras du choix en ce qui concerne son choix d’équipage. Sur les sept hommes de son équipage, trois étaient titulaires de la Croix du service distingué dans l’Aviation et un de la Médaille du service distingué dans l’Aviation. Ces hommes en étaient à leur deuxième tournée opérationnelle, car il y a, en plus du grade de Fauquier, deux commandants d’aviation, un lieutenant d’aviation, deux officiers pilotes et un seul sous-officier. Son navigateur, le Commandant d’aviation Peter G. Powell, qui avait volé avec Fauquier lors de son affectation précédente, est devenu chef navigateur pour Trans Canada Airlines (aujourd’hui Air Canada) immédiatement après la guerre. Il est membre du Temple de la renommée de l’aviation du Canada, tout comme Fauquier lui-même. Cet équipage était extraordinairement expérimenté et doué.
Alors que Fauquier, comme commandant, a la prérogative de choisir le meilleur des meilleurs, le personnel navigant le plus expérimenté pour chaque poste, cependant ce n’est pas le cas de son ami Bill Baldwin. Après un stage de perfectionnement, il rejoint un équipage dirigé par le Sous-lieutenant d’aviation Frank Harman, ancien livreur pour le « Bob Hanes’ Meat Market » de St. Catharine’s, en Ontario. Comme Baldwin, à 26 ans, il est plus âgé que le reste de l’équipage. Le viseur de bombes de l’équipage est le Lieutenant d’aviation Phillip Magson, âgé de 23 ans et originaire de Quesnel, en Colombie-Britannique. Magson en est à sa première mission, mais il possède une expérience unique au sein de son équipage. En juin, alors qu’il volait avec le 408e Escadron, son Halifax a été attaqué par un chasseur de nuit près d’Auchen, en Allemagne. L’attaque a bousillé l’alimentation hydraulique des portes des soutes aux bombes et du train d’atterrissage. Ils sont rentrés tant bien que mal et ont dû tous abandonner l’avion en parachute au-dessus des North York Moors. Les deux mitrailleurs du nouvel équipage de Baldwin sont le Sergent de section Allen Menzies, âgé de 20 ans et originaire de Toronto, qui compte neuf missions réussies à son actif, et le sergent de section James Miller, âgé de 19 ans, qui est le mitrailleur de queue. L’équipage comprend également deux membres du Royal Air Force, le Sous-lieutenant d’aviation Leslie King, DFM, le mécanicien navigant de l’équipage et le Sergent radiotélégraphiste Sidney Cugley.
Comme Baldwin, King était expérimenté et en était à sa deuxième tournée opérationnelle. Il s’est engagé dans la RAF en janvier 1936 et a suivi une formation d’apprenti en aéronautique, que je considère comme un arrimeur ou un mécanicien. Il a été cité à l’ordre du jour en septembre 1941, pendant la bataille d’Angleterre. En février 1942, il a suivi une formation à l’école de tir aérien et a été affecté au 77e Escadron pendant quatre mois avant d’être affecté à l’équipage du Sergent B. C. Dennison du 405e Escadron. À cette époque, le 405e Escadron est prêté au Coastal Command de la RAF pour effectuer des patrouilles anti-sous-marines et antinavires. À la fin de sa première affectation, il reçoit la Médaille du service distingué dans l’Aviation et a été promu Sous-lieutenant d’aviation lorsqu’il a opté pour une deuxième tournée opérationnelle au sein du 405e Escadron.
En avril 1943, le 405e escadron a changé de rôle au sein de la structure de la RAF. Il a été choisi pour devenir un escadron Pathfinder (Orienteur-marqueur). Les Pathfinders étaient des escadrons de marquage d’objectifs au sein du Bomber Command pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils repéraient et marquaient les cibles à l’aide de fusées éclairantes, que la force de bombardement principale qui les suivait pouvait ensuite viser, augmentant ainsi la précision de leurs bombardements. La précision de l’ensemble du raid dépendait de la précision du largage des fusées des éclaireurs. Les équipages Pathfinder se considéraient comme les meilleurs des meilleurs, et à juste titre. C’est pourquoi le célèbre Lieutenant-colonel d’aviation Johnny Fauquier a été renvoyé pour commander son ancien escadron. En particulier, les navigateurs et les viseurs de bombes de chaque équipage sont d’une importance capitale et sont donc sélectionnés pour leur expérience et surtout leurs réussites. Pour Baldwin, l’étudiant en navigation aux résultats médiocres, le fait d’être sélectionné pour ce rôle est la preuve de ses véritables capacités.
Première mission, dernière mission
La météo sur l’Angleterre et l’Europe de l’Ouest pour la nuit du 23 août 1943 est favorable. Il y avait des nuages fragmentés à 2 000 pieds et la visibilité, d’abord modérée, est devenue excellente au-dessus de l’Allemagne. Le vent est léger et souffle du sud-ouest. Dans la salle de breffage, un profond soupir de résignation se fait entendre lorsqu’on annonce que la cible de la nuit est Berlin. Un raid sur Berlin est toujours difficile — plus éloigné que les cibles de la Ruhr et de la Baltique, il est plus lourdement défendu que n’importe quelle ville allemande et les déplacements sont à la fois épuisants et dangereux. Quinze équipages de Halifax et de Lancaster ont été fournis par le 405e escadron. Le registre des opérations indique que les deux types d’appareils du 405e escadron ont participé au raid, ce qui signifie qu’il s’agit d’une période de transition vers le Lancaster. Le raid doit être important — 727 Halifax, Lancasters, Stirlings et Mosquitos composent la vague de bombardiers. Le 405e escadron sera le premier à marquer les cibles. Tous les hommes présents dans la salle de breffage savent que de nombreuses personnes mourront cette nuit, et qu’un membre du 405e n’y échapperait pas.
Baldwin, Harman et l’équipage sont montés à bord du Halifax LQ-G (HR918) sur l’aire de stationnement de la RAF Gransden Lodge vers 19 h 45. Le soleil est bas sur l’horizon. La lumière qui pénètre dans le cockpit et la tourelle supérieure est dorée et la température est chaude et agréable. Auparavant, ils avaient décollé dans l’obscurité lors de la plupart des raids, mais maintenant, en tant qu’éclaireurs, ils devaient partir bien avant la vague principale de bombardiers. La lumière supplémentaire leur permettait de voir à l’intérieur du fuselage sans lampe-torche. Harman se glisse dans le cockpit et grimpe maladroitement jusqu’à son siège surélevé, suivi par Les King qui se glisse dans son étroit compartiment derrière Harman. King s’écarte pour laisser Baldwin, le jeune Magson et Sid Cugley passer devant lui et descendre une marche jusqu’à leur position sous le pilote. Plus tard, juste avant le décollage, il rabattait un siège « dickie » (strapontin) où il passait la majeure partie du vol. Il s’occupait à régler les manettes des gaz et la vitesse des hélices et à surveiller les températures et les pressions des quatre moteurs Merlin sur une batterie d’instruments située derrière le pilote. Son travail secondaire consistait à servir de pilote de réserve en cas d’incapacité de Harman. Il avait une formation de pilotage rudimentaire et était en mesure de ramener l’avion à la maison en cas de besoin.
Tandis que les trois membres d’équipage installés dans les compartiments inférieurs du nez se pressaient dans l’échelle, on pouvait distinguer le frottement creux des bottes sur l’aluminium, le tintement des harnais de parachute, la respiration lourde et les jurons murmurés par des hommes stressés, accompagnés de l’odeur de l’essence, du cuir, de la sueur et de la lotion après rasage. Menzies rampa vers l’avant jusqu’au nez de l’appareil, où il était responsable de manipuler le canon avant lorsqu’il n’était pas couché à plat ventre, l’œil sur son viseur de bombardement pendant qu’il dirige l’appareil vers la cible. Juste derrière lui, Baldwin est assis à 90 degrés face à sa minuscule table traçante et à ses instruments de navigation. À l’arrière, juste sous le poste du pilote, le radiotélégraphiste Cugley se coince dans une minuscule alcôve métallique où il passera les sept heures de la mission. Bien qu’ils survoleront l’Allemagne dans l’obscurité totale, le soleil se couche et une belle lumière dorée pénètre par les petites fenêtres de chaque poste ainsi que par le vitrage du nez. L’adolescent James Miller, mitrailleur arrière, tourna à droite au niveau de l’écoutille de l’équipage et rampa vers l’arrière sous les rails de munitions qui alimentaient ses quatre mitrailleuses Browning dans la tourelle arrière Bolton-Paul qui est maniée électriquement. En se coinçant, il fit glisser les portes de la tourelle derrière lui et s’installa dans l’isolement le plus total. Enfin, le mitrailleur intermédiaire Allan Menzies se penche, se glisse latéralement dans l’écoutille, la ferme et se tourne à gauche vers le tambour rotatif de sa tourelle dorsale. Levant les yeux vers la lumière déclinante du soir, il grimpa et se tordit jusqu’à ce qu’il soit installé derrière ses quatre mitrailleuses Browning.
Une fois que Harman et King eurent démarré et harmonisé les quatre moteurs, que toutes les aiguilles indiquaient les données correctes sur leurs cadrans, il y eut une vérification de la radio et de l’interphone et tout le monde s’installa pour sept heures ou plus de claustrophobie, d’ennui, d’inconfort, de peur et peut-être de terreur. Harman fit un signe de la main à l’aviateur au sol sous son hublot, qui se précipita sous l’aile pour retirer la grosse cale en bois sur laquelle était peinte la lettre « G » tout en s’éloignant des hélices sur le côté bâbord. Avec King à ses côtés, ils saisirent les quatre grandes manettes des gaz à la droite de Harman et les poussèrent vers le haut et vers l’avant jusqu’à ce que les moteurs tonnent et que le « G pour George » ait raison de son inertie et commence à rouler.
Ils se traînent jusqu’à la piste de dispersion et rejoignent les 14 autres Halifax et Lancaster qui se dirigent vers le seuil de la piste aux dernières lueurs du soir. Seuls 7 des Halifax sont chargés de bombes multi-usages (dix bombes de 230 kg chacune), les autres étant chargés de diverses combinaisons : indicateurs de cible, d’obus étoilés, de bombes de grande capacité de 1800 kg appelées « Cookies » et de bombes de capacité moyenne de 230 kg. Ils sont en deuxième position derrière le Sous-lieutenant d’aviation Bernard Francis McSorley, un artiste commercial et décorateur de vitrine de New York, dans l’appareil LQ-R, et devant l’Adjudant Hector « Snuffy » Smith dans LQ-V. Deux de ces équipages ne reviendront pas : celui de Smith et celui de Harman. L’équipage de Smith est attaqué par des chasseurs de nuit et subit des dommages lors d’un combat contre des chasseurs de nuit Messerschmitt Bf 109. À court de carburant, ils s’envolent vers le nord, en direction de la Baltique, et effectuent un amerrissage forcé dans des eaux peu profondes, à trois miles de la côte suédoise. Smith et son équipage sont internés en Suède et rentrent finalement en Angleterre en mars 1944. McSorley a survécu à la nuit, mais pas à la guerre.
À 20 h 15, Harman, avec King, a poussé les manettes des gaz à fond, relâché la palette de frein sur le manche et entamé un long roulement laborieux le long de la piste 22 pour atteindre la vitesse de décollage. Il s’arrache du sol avec le soleil disparaissant derrière son épaule droite et une longue ombre derrière celui de gauche. Harman suit la silhouette du Halifax de McSorley qui disparaissait et effectua un lent virage en montée pour faire demi-tour vers l’est, vers Berlin et les menaces qui s’y trouvaient. Tous les membres de l’équipage connaissent les risques qui les attendent, mais pour autant ils s’acquittent de leurs tâches le cœur serré et le visage tendu, ne pensant qu’à se maintenir en vie les uns les autres. L’escadron n’aura aucune nouvelle de son sort pendant de nombreuses semaines.
Le récit d’Ernst Heuer sur ce qui s’est passé cette nuit-là indique qu’il a vu un éclair et entendu une explosion d’un bombardier s’écrasant à 3 heures du matin. Les souvenirs de Heuer semblent également indiquer (si j’arrive à démêler cette terrible traduction approximative) que les Halifax ont largué leurs bombes lorsqu’ils ont été attaqués pour la première fois. Cela signifie qu’ils étaient encore en route pour Berlin. J’ai du mal à croire que ce soit le cas. Le registre des opérations du 405e Escadron indique clairement que tous les bombardiers survivants sont rentrés sains et saufs entre 3 h 30 et 4 h. McSorley, par exemple, qui a décollé juste avant Harman, a terminé l’opération et était rentré à 3 h 40. Le Flight Lieutenant Keith LeFroy dans l’appareil LQ-C, qui a décollé une heure après Harman, est arrivé sain et sauf à Gransden Lodge à 4 heures du matin. À 3 heures du matin, heure locale, il devait être 3 heures du matin à Gransden Lodge, car l’Angleterre était à l’heure d’été pendant la guerre (et Berlin à l’heure normale) d’où la différence de fuseau horaire d’une heure. Harman aurait été en vol pendant près de sept heures lorsqu’il s’est écrasé. Tous les autres équipages ont décollé de Gransden Lodge, se sont préparés à rejoindre Berlin, ont largué leur chargement de bombes et sont rentrés chez eux au plus tard sept heures plus tard. Cela signifie qu’il n’a fallu que 3,5 heures pour arriver à destination. En tenant compte d’un éventuel vent contraire, il est difficile de comprendre comment il a pu être au-dessus de Saturelle/Haldensleben près de sept heures après le décollage et avoir encore 130 km à parcourir avant d’atteindre Berlin. S’ils avaient une charge de bombes coincées et qu’ils étaient sur le chemin du retour avec elles, ils n’auraient toujours pas été en mesure de s’en débarrasser. Je ne crois pas qu’ils aient largué leur chargement lorsqu’ils ont été attaqués par un chasseur de nuit. Ce chargement a bel et bien été largué sur Berlin.
D’après le récit de Heuer concernant cette nuit et le jour suivant, il semble que Harman, Baldwin et l’équipage aient été attaqués par un chasseur de nuit Messerschmitt Bf 109. Au cours de l’attaque, il y a eu une sorte d’échange de coups de feu entre Miller, dans la tourelle arrière, et le pilote de l’avion allemand. Miller fut tué dans l’attaque et le Halifax incendié. Un autre récit de l’unité des sépultures après la guerre mentionne que le Halifax tournait en rond au-dessus de nos têtes. À un moment donné, Harman se rendit compte que le Halifax était condamné et ordonna à son équipage d’abandonner l’appareil. Bien sûr, dans l’obscurité, en feu et en descente rapide, c’était très difficile. Aucun des hommes dans le nez ou dans les tourelles ne portait de parachute, car les postes d’équipage du Halifax étaient trop restreints. Même si leurs parachutes étaient à portée de main, les endosser dans l’obscurité totale, dans un avion en feu et hors de contrôle, aurait été presque impossible. Le parachute de Baldwin se trouvait juste derrière lui, sous un strapontin. La seule trappe d’évacuation pour les postes avant de l’équipage (pilote, navigateur, opérateur radio, mécanicien navigant et viseur de bombes) se trouvait directement sous ses pieds, ce qui pourrait expliquer pourquoi il a été le seul à sortir de l’avion et pourquoi plusieurs corps ont été retrouvés près de la trappe — ceux de Harman, Magson, King et Cugley. Il est probable que l’autre corps découvert près de l’épave, pratiquement intact, soit celui de Menzies, le mitrailleur de bord. Il devait se trouver à l’arrière de l’avion qui était moins endommagé. Il aurait probablement tenté de sortir de l’avion par l’écoutille d’entrée de l’équipage, qui se trouvait juste à l’arrière de sa position. Il se trouvait peut-être à l’écoutille et, sachant qu’il était trop bas pour sauter, il a décidé de voir où la chute de l’avion l’emmènerait. Il n’était pas dans l’avion lorsqu’il a été retrouvé, il a probablement été projeté à l’extérieur. Le corps de Baldwin a été retrouvé quelques jours plus tard, pendu à un arbre à une certaine distance du site de l’épave, mais cela n’explique pas comment il est mort.
La récupération des six premières dépouilles commença le lendemain, quelques heures après que les garçons eurent découvert l’épave. Les corps gravement brûlés sont placés deux par deux dans une caisse en bois, tandis que Miller et l’autre aviateur sont placés dans des caisses séparées. Alors que la récupération est en cours le 24 août, le pilote allemand qui a abattu le Halifax arrive. Il s’agit du Feldwebel (sergent) Franz Laubenheimer du Jagdgeschwader 300, une unité de Messerchmitt Bf 109 Wilde Sau basée à Brunswick, à l’ouest. Le concept Wilde Sau (Sanglier sauvage) utilise des chasseurs de nuit monomoteurs pour attaquer les avions du Bomber Command éclairés par des projecteurs et par ce fait les rend vulnérables à leur propre DCA. Les rapports des témoins oculaires, mal traduits en anglais, indiquent que Laubenheimer a inspecté les corps de Miller et a emporté quelques documents et une « médaille ». Comme Miller n’avait pas de médailles décernées ni de documents portés, il s’agissait probablement du disque d’identité qu’il portait autour du cou et de quelques objets personnels. Le récit de Heuer indique qu’il y avait la photo d’une femme. L’intention de Laubenheimer était de remettre ces objets à la Croix-Rouge allemande afin que les proches de Miller puissent être informés rapidement. Il n’a pas essayé de retirer les disques d’identité des autres corps. De plus, un camion de la Luftwaffe est arrivé pour récupérer la tourelle arrière une fois que le corps de Miller a été enlevé.
Les dépouilles des aviateurs ont été enterrées avec tous les honneurs militaires dans l’après-midi du mercredi 25 août au cimetière municipal de Satuelle. On remarqua que deux jeunes femmes de la région, Kalli Meuller et Anni Hempel, se sont chargées d’entretenir les tombes des six hommes. Peu de temps après, Baldwin, calligraphe de talent, aviateur décoré et navigateur émérite, est retrouvé pendu à un chêne mort dans la forêt, loin de l’épave. Son corps est enterré dans le cimetière de la ville de Zobbenitz.
En décembre 1947, une équipe d’enquêteurs de la Commission des sépultures de guerre du Commonweath, sous le commandement du capitaine Meldon, a exhumé les corps à Satuelle afin de confirmer les identités. Le rapport, rédigé par le capitaine d’aviation L. E. Thorogood, indique ce qui suit :
« Au bureau du bourgmestre, nous avons été informés par les registres du cimetière qu’il y avait les dépouilles de 6 aviateurs américains qui s’étaient écrasés en flammes dans la nuit du 24 août 1943 à 3 h 15. Les corps furent placés dans trois cercueils et enterrés dans l’après-midi du 25 août 1943. La croix au-dessus de la tombe indiquait : “Ici reposent les restes de 5 soldats américains inconnus” ».
Les points notés sur les rapports d’exhumation ci-joints ont été mis en évidence. Les disques d’identification des corps 1 et 2 indiquent qu’il s’agit du Sergent MENZIES et du Lieutenant MAGSON. Le corps n° 5, d’après le brevet de canonnier aérien et les chevrons, semble être le Sergent MILLER [rappelez-vous que son disque d’identification avait été enlevé par Laubenheiner] en tant que deuxième mitrailleur aérien de l’équipage.
Le corps 3 est donc identifié par les chevrons et par sa chemise qui était celle d’un homme du rang comme étant le Sergent CUGLEY. Le corps 4, selon le grade de sous-lieutenant d’aviation, semble être celui du Sous-lieutenant d’aviation KING. Ces corps ont été transférés au cimetière militaire britannique de Heerstrasse à Berlin…
… Le Commandant d’aviation BALDWIN a été exhumé de Zobbenitz le 2 septembre 1947 et se trouve actuellement enterré à Heerstrasse. Aucune information n’a pu être obtenue concernant l’endroit où se trouve le corps restant et aucune raison n’a pu être donnée pour cette inconsistance entre les registres du cimetière indiquant 6 corps et la croix qui en indique 5. Le Capitaine Meldon et moi-même étions tout à fait d’accord sur l’impossibilité qu’il y ait plus de 5 corps [dans cette tombe — NDLR] ».
L’unité de la Commission des sépultures n’a jamais retrouvé de trace de Harman bien que le rapport de Heuer indique qu’on a retrouvé 4 corps dans la partie avant (ce qui fait un total de 6 au site de l’écrasement) et que le les dossiers du cimetière confirme l’existence d’un 6e corps. Ce qui fait qu’il est le seul membre de l’équipage qui figure au Mémorial de Runnymede dédié aux aviateurs morts au champ d’honneur et qui n’ont pas de sépulture connue.
Bien entendu, aucune autopsie n’a été pratiquée, mais il semble que Miller ait été tué par un tir de mitrailleuse ou de canon, et que les cinq autres, incapables de sortir, aient été tués instantanément dans l’écrasement. On ne sait pas comment Baldwin a trouvé la mort, mais la cause probable serait que son parachute n’était que partiellement ouvert en raison de la faible altitude et son impact avec l’arbre aurait été mortel. L’homme qui a si soigneusement commémoré tous les Canadiens morts au cours de la guerre précédente avec sa plume les avait maintenant rejoints — une horreur anonyme parmi tant d’autres découverte par hasard dans une forêt d’Europe, loin de sa maison et de sa famille. Contrairement à des milliers de jeunes Canadiens tombés dans le ciel nocturne au cours de ces années terribles, il a laissé un héritage qui perdurera aussi longtemps que le Canada existera.
Les immortels qui ont sauvé le monde
La création d’un Livre du Souvenir pour la Seconde Guerre mondiale ne faisait pas l’unanimité à la fin de la guerre. Ce sont les anciens combattants de la Première Guerre mondiale qui ont réussi à convaincre le gouvernement pour qu’il crée un livre équivalent à l’œuvre de Baldwin. Deux hommes, tous deux titulaires de la Croix de Victoria de la Première Guerre mondiale, le Général George Pearkes et le Lieutenant-colonel Cecil Merritt, ont joué un rôle déterminant en exhortant le Parlement à créer un deuxième livre. En février 1947, le ministre de la Défense, Brooke Claxton, a annoncé une « réduction drastique des histoires officielles étendues des deux guerres mondiales pour des raisons d’économie » [Ottawa Citizen]. Bien que la déclaration officielle de Claxton ne fasse aucune mention d’un second Livre du Souvenir, Pearkes insiste en déclarant : « C’est un devoir sacré que le Canada tienne un registre de ceux qui ont sacrifié leur vie pendant la Seconde Guerre mondiale, comme cela a été fait pour ceux qui sont morts pendant la Première Guerre mondiale. J’espère sincèrement qu’un Livre du Souvenir pour la dernière guerre sera rédigé immédiatement et placé sur l’autel du sacrifice dans la tour de la Paix ». Merritt a ajouté que :
« Ceux qui sont tombés au champ d’honneur ont apporté la plus grande contribution à la préservation de la liberté. La fierté ressenti et exprimé par tous à l’égard de la contribution du Canada à cette tâche et le réconfort que procure aux proches des défunts le fait de savoir que leurs noms vivront à jamais dans le sanctuaire national du Canada, dans la Chapelle du souvenir de la tour de la Paix, exigent que l’on s’acquitte de ce devoir à l’égard de nos valeureux disparus. »
Quelques semaines plus tard, Claxton annonce que le gouvernement a décidé d’aller de l’avant avec ce projet. Alan Beddoe est à nouveau choisi pour superviser le projet et, à la fin de l’année 1949, il constitue une petite équipe d’artistes héraldiques, de coloristes et de calligraphes. On espérait que le livre serait achevé en 1952. Cependant, des problèmes de matériel, de vérification des états de service et d’infrastructure sont intervenus et le travail a été interrompu. De plus, il a été décidé de modifier le format des inscriptions après que près de la moitié des noms eurent été inscrits. Ces pages ont été supprimées et le travail a été repris à la fin de l’année 1951. Alors que Baldwin avait inscrit à lui seul les 66 655 noms du premier livre, il fallut deux hommes — le soldat Jean-Paul Champagne, âgé de 26 ans, et J. D. E. Rae, dont les « plumes » étaient similaires — pour terminer l’inscription des 44 893 Canadiens morts au cours de la Seconde Guerre mondiale. En 1955, on prévoyait conserver le nouveau livre non pas dans la chapelle du Souvenir, mais dans le hall du nouveau bâtiment de la Bibliothèque nationale et des Archives publiques construit sur la rue Wellington, mais cette décision a été annulée par la suite.
C’est ainsi que, dix ans après sa mort, William Henry Baldwin, l’homme qui avait inscrit 66 655 noms 15 ans auparavant, a vu SON nom inscrit dans le Livre du souvenir de la Seconde Guerre mondiale. L’ironie tragique qui vient boucler cet acte calligraphique revêt un caractère bien concret. Son nom apparaît sous sa forme définitive à la page 133 du livre. Il aurait été magnifique que Beddoe, qui avait travaillé avec Baldwin sur le premier livre, demande à l’équipe de faire une pause pour lui rendre hommage lorsque son nom a été ajouté. Je doute que cela se soit produit.
Le nom de Baldwin est inscrit de façon identique aux autres, car dans leur immortalité, tous sont égaux.
Pour moi, il existe une différence frappante entre les deux Livres du Souvenir qui reflète le type de guerre que le Canada a mené dans chaque cas. Celui de la Première Guerre mondiale parle fièrement de l’obligation impériale :
« Ici sont consignés les noms des Canadiens qui, loyaux envers la Couronne et fidèles aux traditions de leurs ancêtres, ont servi dans les forces canadiennes et autres forces de l’Empire britannique, et ont donné leur vie au cours de la Grande Guerre, 1914-1918. »
L’utilisation des mots « ont donné leur vie » en dit long sur la futilité stupéfiante et le gaspillage total de cette guerre totale. Il n’y a aucun sentiment d’un but ultime qui pourrait soulager la peine de leurs proches. Il n’y a pas d’espoir pour demain. Le terme anglais « gave up » n’évoque pas un sacrifice suprême, mais plutôt une simple dépense.
Toutefois, la dédicace figurant au début du Livre du Souvenir de la Seconde Guerre mondiale est tout à fait différente. L’idée que les Canadiens étaient des pions de l’Empire a disparu au profit de la notion que le Canada était l’égal des Alliés et que ceux dont les noms figurent ici ont « donné » leur vie délibérément pour éliminer la tyrannie mondiale :
« Sur ces pages sont inscrits, avec un souvenir fier et éternel, les noms des hommes et des femmes de notre marine, de notre armée de terre et de notre force aérienne ainsi que les Canadiens des services armés des autres nations et alliés du Commonwealth britannique qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale, ont donné leur vie pour le Canada et pour la défense
« ....Allongez-les avec tout ce qu’il y a de plus vivant,
Dans une lumière transcendante,
Dans les allées du silence éternelles,
Avec les Immortels qui ont sauvé le monde ».
Dave O’Malley, Mai, 2023
Nota
En 1959, lors du décès de Clayton, le père de Bill, le Citizen et le Journal ont tous les deux publié des articles sur Bill pendant la guerre. Curieusement, ces articles mentionnaient sa femme, ses fils Clayton Jr, James et Charles, ses filles Katherine et Naida, et ses sœurs. Aucune mention n’a été faite du fils qui a tout donné.
1 Terme familier indiquant les avions de la Luftwaffe pilotés par la RAF.
2 Les chasseurs fantômes (foo fighters en anglais) sont des phénomènes aériens (généralement une ou plusieurs boules lumineuses blanches, jaunes ou rouges) signalés à de nombreuses reprises par les équipages des forces armées aériennes alliées ou de l'Axe, lors de la Seconde Guerre mondiale. (Wikipedia)